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répondre. On leur demande quels mystères ils admettent. Ils n’osent répondre. Sur quoi donc répondront-ils ?… Quand ils auront bien disputé, bien chamaillé, bien ergoté, bien prononcé, tout au fort de leur petit triomphe, le clergé romain, qui maintenant rit et les laisse faire, viendra les chasser, armé d’argumens ad hominem, sans réplique.


Ainsi parlait Rousseau, et d’Alembert, naguère, n’avait rien écrit d’aussi vif. « Nous avons gémi, disait bientôt dans une harangue au Conseil le modérateur de la Vénérable Compagnie, de voir la religion chrétienne attaquée en son fondement avec une audace dont on a vu peu d’exemples. »

Plus ce modérateur gémissait, plus Voltaire s’amusait. Tout ce qui nuisait au prestige des pasteurs servait la cause du théâtre ; tout ce qui pouvait rendre les consciences genevoises indifférentes au veto du Consistoire, les livrait aux sollicitations tentatrices qui venaient de Ferney. Et peu à peu, patriciens et patriciennes succombaient à la tentation, et s’en allaient à Ferney, comme spectateurs, voire comme acteurs, sous les regards inutilement sévères de la « prêtraille de Jehan Chauvin. » Voltaire triomphait : Genève n’était plus « la petitissime et très pédantissime république, » où il n’y avait que « des prédicans, des marchands, et des truites ; » les « gens à dialogues, » les acteurs, allaient enfin s’y installer, en face de ces pasteurs que Voltaire appelait injurieusement des « faquins à monologues ; » et laissant là ces faquins, des paroissiens et paroissiennes de Saint-Pierre ou de la Fusterie s’improvisaient eux-mêmes « gens à dialogues, » sur les insolens petits tréteaux qu’avait dressés Voltaire à Ferney. Dure leçon, certes, pour les pauvres prédicans, « pour cette morose et dure espèce, » disait Voltaire dans son injurieux poème sur la Guerre de Genève : « sur tous les fronts » ils avaient « grave la tristesse ; » malgré eux, contre eux, Voltaire faisait dérider Genève.


X

Voltaire avait attiédi la piété des patriciens ; Rousseau avait échauffé la bile des plébéiens. Les premiers, à la voix de Voltaire, vivaient à leur guise ; les seconds, à la voix de Rousseau, pensaient à leur guise ; et la bonne volonté des pasteurs paraissait impuissante contre cette dissolution. Le vieil esprit libertin, si radicalement opprimé par Calvin, s’était lentement réveillé ; on