Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/626

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi grandement affecté la vie nationale qu’on l’a cru. Le même éclectisme qui nous avait fait choisir Bouddha comme guide spirituel, Confucius comme guide moral, nous a fait saluer la science moderne comme le fanal du progrès matériel[1]. » Okakura remarque, en outre, que, plus tard, l’adoption en matière politique et sociale de certaines idées ou coutumes de l’Occident n’a pas nécessité de la part du Japon un changement aussi grand qu’on l’avait d’abord pensé, et que le Japon n’a pris en somme dans les institutions de l’Occident que ce qui était en harmonie et concordance avec sa nature orientale. Les unionistes, tels que ce Sakuma Shozan cité plus haut, croyaient retrouver dans ces institutions et idées de l’Occident les lois des anciens sages de la Chine et de l’âge d’or du Céleste-Empire. George Washington leur rappelait l’empereur Yao de la Chine. Dans l’Esprit des lois de Montesquieu et la doctrine des trois pouvoirs, il leur semblait reconnaître la doctrine de Mencius. « S’il n’y avait pas eu de point commun de contact, dit Okakura, une race orientale telle que la nôtre n’aurait jamais adopté les idées de l’Occident avec l’enthousiasme que nous avons montré[2]. »

Il y eut, en effet, dans les années qui suivirent la restauration impériale, une fièvre d’imitation de l’Occident, et, dans la première décade surtout (de 1870 à 1880), une sorte de réaction contre l’esprit même de l’Orient. Mais ce ne fut qu’une crise passagère. « Les voix de grands hommes d’Etat, tels qu’Iwakura et Okubo, ne furent pas longues à condamner les ravages que cet amour insensé des institutions occidentales exerçait sur les anciennes coutumes du pays[3]. » Le Japon se reprit vite. Il se trouvait alors dans une situation à quelques égards semblable à celle où l’Europe, à la fin du Moyen Age et après la prise de Constantinople, a été comme envahie par un retour de la civilisation gréco-romaine, en même temps que par le développement des sciences, par l’avènement de l’esprit de critique et de réforme. De même que l’Europe s’en est tirée par la Renaissance, c’est-à-dire par l’heureuse union de l’esprit antique et des idées modernes, le Japon s’en est tiré par cette révolution-restauration qui a concilié l’adoption de certaines idées,

  1. Le Réveil du Japon, p. 189.
  2. Le Réveil du Japon, p. 151.
  3. Les Idéaux, de l’Orient, p. 220.