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L’ALSACE À VOL D’OISEAU.

rive, je trouvai, à quelque distance du village, un vaste champ de roseaux. Une anse du fleuve y formait une sorte de chenal, au fond duquel un pêcheur avait abrité sa barque. Je liai conversation avec cet original, qui semblait plus intime avec le Rhin qu’avec les hommes. Il me dit qu’il allait passer la nuit dans sa hutte délabrée pour surveiller sa pêche. Sa demeure lacustre me plut ; elle convenait à ma méditation, et je lui demandai la permission de passer la nuit sur son lit de feuilles sèches, ce qu’il m’accorda volontiers. Je restai assis, à la poupe de la nacelle, pendant que le pêcheur, debout à la proue, lançait, paquet sur paquet, la lourde nasse avec ses lièges flottans dans le fleuve impétueux.

« De mon poste, je jouissais de l’ampleur grandiose du paysage et de son calme musical. On n’entendait que le sourd grondement du fleuve et le froissement léger des quenouilles de roseaux. Des deux côtés du Rhin, la plaine s’étendait à perte de vue. À l’Est comme à l’Ouest, la bande bleuâtre des montagnes bornait à peine son immensité. Dans la coupole du ciel, plus vaste encore, les nuages cuivrés, qui traînaient sur l’or du couchant, formaient des îles flottantes et des castels aériens. Le crépuscule tombait. Soudain, sur l’azur pâle du zénith, je vis se dessiner une ligne formée de petits points noirs et animée d’un mouvement rapide. L’écharpe serpentine tournoya longtemps comme la queue d’un cerf-volant. Elle décrivit, dans le ciel, une série de tours capricieux aux derniers rayons du soleil, comme pour chercher son gîte. Se rapprochant toujours de nous, elle descendit en cercles plus étroits, et, tout d’un coup, houche ! d’un plongeon oblique, elle disparut tout près de nous, dans la mer de roseaux, avec un long frémissement suivi d’un silence complet.

« — Ce sont, me dit le pêcheur, des cailles voyageuses qui viennent nicher pour quelques nuits sur les bords du Rhin, pendant leur migration vers le Sud. Vous en verrez d’autres ; il en vient des masses ici.

« Il parlait encore, et déjà un nouvel essaim d’oiseaux avait paru dans le ciel. Après les mêmes évolutions sinueuses, il s’enfonça de la même manière dans sa retraite humide et feuillue. Il en vint une demi-douzaine, de tous les bouts de l’horizon, si bien qu’en quelques minutes, des milliers d’oiseaux migrateurs s’étaient engloutis sous l’humble végétation de cette