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ne pût les examiner avant sept années écoulées. Le jour venu, deux érudits se présentèrent : M. Paul Dimoff et M. Abel Lefranc. Ils travaillèrent, avec plus de facilité que Becq de Fouquières, avec plus de méthode que M. Gabriel de Chénier. Le poète sort des ténèbres où l’avait enclos son neveu.

M. Paul Dimoff a, jusqu’à présent, donné les deux premiers tomes des Œuvres complètes d’André Chénier. Premier tome : Bucoliques. Deuxième tome : Poèmes, les Hymnes et le Théâtre. Et tout le reste paraîtra quelque jour, — mais après la Guerre : — non, l’œuvre de Chénier n’a point de chance ! Elle aura eu contre elle, sans parler du neveu, ingénument fâcheux, les Révolutionnaires et puis l’Ennemi : lors de l’autre guerre déjà, les Prussiens chapardèrent une liasse de manuscrits que Latouche avait laissée dans sa maison de la Vallée-aux-Loups. L’édition de M. Dimoff est excellente, car elle reproduit exactement le texte de Chénier. Nous n’avons plus à redouter les hasards de la copie : M. Dimoff a de bons yeux ou il a des lunettes ; et il sait lire. Il a généralement conservé la ponctuation même des manuscrits et ne supprime pas une virgule ou n’en ajoute pas une sans nous avertir, en note, de son audace. Minutie ? Louable scrupule : et il faut qu’un éditeur soit méticuleux. André Chénier, d’ailleurs, avait sa façon de ponctuer, très particulière, et qui marque vivement la coupe de ses vers, en indique la scansion, le rythme. Ainsi :


Prends, mon fils, laisse-toi fléchir à ma prière :
C’est ta mère. Ta vieille inconsolable mère
Qui pleure. Qui jadis te guidait pas à pas ;
T’asseyait sur son sein ; te portait dans ses bras.
Que tu disais aimer ; qui t’apprit aie dire ; (etc.)


Ponctuation d’un poète ; et ponctuation qui n’est pas tout uniment grammaticale, mais qui, ordonnant les phrases et leurs élémens, distribue aussi les portions du vers et tient compte de l’accent que la mesure poétique ajoute à la pensée.

Le seul changement que M. Dimoff ose faire subir au texte de Chénier, le voici : l’orthographe assez capricieuse du poète, il la conforme à notre usage d’aujourd’hui. Je ne sais pas s’il a raison. Mais il dit : « Notre texte y perdra peut-être en pittoresque ; il y gagnera certainement en clarté. » Je le veux bien ! Cependant, ces différences d’orthographe ne sont pas telles qu’à mon avis elles doivent gêner beaucoup le lecteur ou le gêner longtemps. Et, si elles l’étonnent un peu, si elles le dépaysent en quelque sorte et