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lecteurs futiles pour qui, somme toute, écrivent les poètes. M. Dimoff a ménagé ses lecteurs futiles en ne gardant pas l’orthographe de Chénier : il eût gagné tous leurs suffrages en leur offrant un recueil plus et mieux dégagé de l’érudition qui n’est pas indispensable : l’érudition sauvegardée, du reste, mais écartée un peu, reléguée à sa place, et non mise à la première place. L’inconvénient que M. Dimoff n’évite pas, résumons-le : nous sommes malheureux ; nous savons bien que l’édition de M. Dimoff est la meilleure et la seule bonne ; mais, si l’envie nous prend de relire un poème de Chénier, quelque soir, nous serons tentés d’ouvrir le volume imparfait de Latouche. L’édition de M. Dimoff est un chef-d’œuvre un peu (comme on disait) affreux.

M. Abel Lefranc nous donne, lui, un recueil d’œuvres toutes inédites et en prose : un long traité qu’il intitule Essai sur les causes et les effets de la perfection des lettres et des arts, l’Apologie, l’esquisse d’une Histoire du pouvoir royal en Europe, plusieurs fragmens relatifs à l’Espagne, au Christianisme, des notes de philologie grecque, etc. Aucun de ces ouvrages ne vaut les poèmes d’André Chénier. Il y a du fatras, s’il faut l’avouer, dans ces brouillons ; du fatras et de belles pages : et des pages surtout qui éclairent d’un jour assez vif les idées philosophiques et littéraires de cet écrivain.

Quant à ses idées philosophiques, Sainte-Beuve a publié une note de Chênedollé selon laquelle le poète d’Hermès se fût montré à ses contemporains « athée avec délices. » Grande colère de M. Gabriel de Chénier, qui ne veut pas d’un oncle « atteint de cette infirmité de l’esprit humain qu’on appelle l’athéisme. » Athée, d’ailleurs, est un mot qui n’a pas une signification très nette ; et l’on hésite à considérer comme un athée un André Chénier, païen qui éparpillait sa créance entre tous les dieux de l’Olympe. Mais, antichrétien, certes il l’était, et résolument : les essais que publie M. Lefranc ne laissent à ce propos aucun doute. Les Fragmens sur le Christianisme contiennent un vif résumé des principes sur lesquels s’appuiera la critique d’un Strauss et d’un Renan. Sa mécréance est à la fois impétueuse et méthodique ; il n’est pas seulement irréligieux, mais il a un système d’irréligion. Il exigerait que la résurrection, par suite la divinité, de Jésus-Christ fût démontrée ; il réclame des preuves et les veut d’autant plus rigoureuses que le fait à prouver contrarie « l’ordre des choses naturelles » et blesse « la raison. » Mais Pascal a écrit : « S’il ne fallait rien faire que pour le certain, on ne devrait rien faire pour la religion, car elle n’est pas certaine. » Il distingue de cette manière la vérité religieuse et l’évidence. Chénier ne distingue pas la vérité religieuse et