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qu’un jeune Belge se destinant à la carrière scientifique, ou simplement aux professions libérales, allât terminer ses études à Paris, on en était venu à croire qu’un savant, se spécialisât-il dans la biologie, l’histoire ou la philologie, devait absolument passer quelques années dans les Universités d’outre-Rhin. En dépit des protestations de quelques esprits supérieurs qui avaient conservé le culte de la liberté et de l’honnêteté scientifique française, l’organisation allemande avait positivement ébloui les universitaires belges, en qui les excellentissimes docteurs de Bonn, d’Iéna ou de Berlin voulaient bien reconnaître des disciples méritans. Il n’est pas jusqu’aux gens de lettres dont Paris avait fait la gloire que l’Allemagne n’ait essayé de s’attirer. Ne représentait-on pas Maeterlinck comme un penseur germanique ? Ne voulait-on pas voir, dans Verhaeren, un poète qui avait transposé en français les « dons spécifiques du lyrisme allemand ? »

La brutale agression de 1914 a suffi à détruire en un instant tout ce travail souterrain, à dissiper tous ces miasmes, à éclairer la pensée, la science, la littérature belges sur leurs affinités traditionnelles. Mais l’équivoque avait été créée, et il est évident qu’avant la guerre, l’Allemagne avait gagné beaucoup de terrain dans ce pays qui fut toujours, et qui ne peut être qu’une province intellectuelle de la France. On imagine quelles positions elle avait pu acquérir dans des pays où l’on ne parlait pas notre langue.


Je me suis étendu sur la propagande allemande en Belgique, parce que c’est là que je l’ai vue à l’œuvre, mais elle n’a été ni moins intense, ni moins patiente, ni moins habile dans les autres pays de l’Europe. Et partout, c’est principalement à ces classes dirigeantes, plus ou moins touchées par le cosmopolitisme, qu’elle s’adressait. A la haute société européenne, lassée, énervée, inquiète du lendemain, incapable de choisir entre une liberté de mœurs et d’esprit dont elle jouissait, et un traditionalisme dont elle regrettait les solides barrières, elle offrait avec une tranquille assurance le secours d’une grande force conservatrice et de la seule organisation vigoureuse de l’Etat qu’il y eût encore dans le monde. Et la haute société