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deux fois inquiété par les tribunaux, qui viendrait échouer sur les bancs de l’École. Et ce rebouteux continuait de donner des consultations secrètes. On parlait d’un livre manuscrit qu’il avait composé et dont les recettes produisaient des effets extraordinaires. Tout récemment encore, il avait trouvé le moyen de révolutionner le collège de Sainte-Barbe et celui de Montaigu. Trois jeunes gentilshommes espagnols, Juan de Castro, Peralta et Amador, un des élèves les plus brillans de Jacques de Gouvea, avaient quitté subitement leurs classes, vendu ou distribué tout ce qu’ils possédaient, et s’étaient retirés à l’Hôpital Saint-Jacques, résolus à renoncer au monde. Le lendemain matin, leurs camarades avaient couru à l’Hôpital ; ils en avaient enfoncé les portes, et ils avaient ramené tambour battant les trois exaltés, qui durent promettre de ne devenir des saints que lorsqu’ils auraient l’âge. C’était Ignace le coupable. L’Inquisiteur Maître Ori fut saisi d’une accusation de magie, et, bien qu’il l’eût écartée, et qu’il eût congédié Ignace sans l’interroger, il n’en subsistait pas moins autour du « pèlerin » une fumée douteuse.

Imaginez l’étrange quadragénaire au moment où il franchit le seuil de cette chambre, le premier oratoire, si l’on peut dire, d’une Compagnie qui remplira le monde de son nom et de ses œuvres. Que d’agitations, de mouvemens religieux, de luttes politiques, d’aventures périlleuses, de tortures et de martyres, sans compter toutes les manifestations de l’esprit pur, sortiront de ce pauvre réduit ! Mais ces trois hommes, dont deux seront élevés un jour au rang de nos plus illustres intercesseurs près de Dieu, s’observent avec prudence et même avec défiance. On pouvait résister à l’autorité d’Ignace : il était impossible de ne pas la sentir ; Le Fèvre fut rapidement conquis ; mais non François. Ignace préparait alors ses examens de licence. Pour un homme de cet âge, les exercices scolaires étaient pénibles. Il avait besoin qu’en dehors du cours de Jean de Peña on lui donnât des répétitions. Le jeune régent du collège de Beauvais se déchargea de ce soin sur l’excellent Le Fèvre.

Un événement qui survint au collège commença à modifier les sentimens de François. Ignace avait promis à son maître Jean de Peña de ne point endoctriner ses condisciples. « Et surtout, pas de prosélytisme ! » Mais son empire sur lui-même n’allait pas jusqu’à refréner à toute heure du jour sa passion du bien des âmes. Il persuada à quelques-uns d’entre eux de