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LE DÉPÔT DE BAUTZEN

Septembre. — Bautzen ! ce nom évoque le souvenir de l’une des suprêmes victoires napoléoniennes, mais je n’ai jamais visité les plaines glorieuses où succomba Duroc, et, comme on le verra par la suite, c’est à peine si je pus entrevoir l’industrieuse cité qui allonge sur les bords de la Sprée ses draperies et ses tissages.

Pour l’instant, au surplus, ces réminiscences historiques me laissent indifférent ; elles s’effacent devant d’autres impressions plus immédiates et plus brutales.

Un public nombreux assiste au débarquement des prisonniers. A mesure que nous défilons devant lui, des cris, des insultes, des quolibets éclatent à notre adresse. Des forces de police encadrent notre lamentable cortège. En dépit de ce barrage protecteur, quelques énergumènes veulent foncer sur nous, nos gardes ne les repoussent qu’avec mollesse, et les poings dardés manquent de nous atteindre. Cette agréable promenade se prolonge une demi-heure, à travers les rues enténébrées, où l’obscurité favorise encore le désordre. Enfin, nous atteignons les casernes situées dans un faubourg, presque au milieu des champs. C’est un immense et monotone assemblage de bâtimens bas, couverts en tuiles, percés d’innombrables fenêtres et divisé en plusieurs cours, qui abrite en temps de paix le 28e régiment d’artillerie de campagne. A toutes les croisées, malgré l’heure tardive, se, pressent des groupes de soldats. L’effet de la rude discipline germanique apparaît aussitôt : ils ne soufflent pas mot à notre vue et ce silence nous semble doux après le tumulte hurlant que nous venons de traverser.

De vastes écuries, vides à présent, s’étendent par derrière. Au milieu, se dresse une sorte de haut pavillon. C’est le magasin d’habillement régimentaire, transformé par les Allemands en lazaret, qui doit nous servir à la fois d’hôpital, de prison et d’abri. Le local est spacieux ; malgré notre nombre, deux cent cinquante environ, nous y tiendrons à l’aise. Des paillasses nous attendent ; on nous répartit par chambrées de vingt-cinq et ceux qui peuvent manger reçoivent alors une gamelle de saucisse au riz où nous mordons à belles dents, encore que la charcuterie soit aigre et son accompagnement agglutiné en pâte visqueuse qui colle au palais.