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aspersions bienfaisantes nous débarrasssaient en outre pour quelques jours de la vermine qui nous infestait. En même temps, on nous distribuait du linge, chemises et caleçons de troupe, usagés, mais propres, qui arrivèrent à point pour remplacer les nôtres qui nous tombaient en loques sur le corps. On nous prît aussi nos vêtemens et jusqu’à nos souliers pour les désinfecter. Pendant une huitaine, nous flottâmes en des effets de treillis trop larges. Dans ces guenilles, la barbe et les cheveux incultes, nous semblions de vrais singes habillés et ne pouvions nous-mêmes nous regarder sans rire. Pour terminer cet aperçu général, il me reste un mot à dire de la sévère discipline qui nous régissait et de ceux qui étaient chargés de l’appliquer à tous les degrés de la hiérarchie.

A tout seigneur, tout honneur. Le colonel commandant en chef le dépôt de Bautzen, herr Oberst von E…, était un méprisant junker prussien, athlétique et haut en couleur, qui détestait la France d’une haine forcenée. Son imagination tortionnaire se complaisait à des raffinemens de cruauté, que je dirai par le menu, dans leur turpitude abjecte, indigne d’un soldat et d’un gentilhomme.

Les sous-ordres, par bonheur, se montraient généralement moins féroces. L’un d’eux même, le capitaine baron von P…, chambellan de la cour de Saxe, était un fort galant homme, cultivé, affable, courtois et de parfaite éducation. Il parlait à merveille le français, le russe et l’anglais, avait habité Paris seize ans, vieux garçon riche, répandu dans la meilleure société et membre de plusieurs grands cercles. Dans le fond de son cœur, certainement, il déplorait la guerre et s’employa de son mieux à réprimer les fantaisies barbares de son colonel.

Un jour, comme je quittais l’infirmerie, mon service achevé, je reçus l’ordre de me rendre à la Kommandantür. J’obéis, non sans appréhension. A mon heureuse surprise, je trouvai le Hauptmann von P…, qui m’interrogea avec une extrême politesse.

— J’ai lu votre nom sur la liste des prisonniers. Etes-vous parent du peintre dont j’ai eu l’occasion d’apprécier le talent ?

Sur ma réponse affirmative. — C’est bien, dit-il, en me renvoyant ; je compte que vous vous conduirez correctement. De mon côté, je ferai ce qui dépendra de moi pour adoucir votre sort.

Telle fut ma première entrevue avec le freiherr von P… ; je