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devais en avoir d’autres par la suite, mais ceci, dirait Kipling, est une autre histoire.

La discipline était naturellement des plus rudes, en tous points comparable à celle qu’on applique aux sections de « Joyeux » dans le Sud-Algérien. Ses instrumens les plus immédiats pour nous étaient les unter-offizier, de sombres brutes paysannes affolées d’autoritarisme, auxquels les injures et la schlague apparaissaient la seule raison démonstrative. Ils en usaient copieusement et sans frein à l’occasion des corvées incessantes dont nous étions accablés.

Celles-ci étaient multiples et variées : balayage des cours et des écuries, épluchage des légumes, nettoiement hebdomadaire des locaux d’habitation, transport de la paille, du charbon, du pain, etc. Elles s’effectuaient sous la surveillance des gradés français ou russes, subordonnés eux-mêmes aux sous-officiers allemands, qui, pour un oui, pour un non, le plus souvent sans motif, insultaient et brutalisaient leurs victimes, à coups de botte, de cravache, de plat de sabre, suivant toutes les beautés de la méthode teutonne.

Inutile de se plaindre ; on n’était pas écouté et toute réclamation, même juste, se voyait sévèrement châtiée.

Les punitions suivaient une échelle savamment graduée. La plus légère était la mise en cellule pour quarante-huit heures, au pain et à l’eau, dans une sorte de boite obscure, longue de deux mètres sur un mètre cinquante : un véritable cercueil. Lorsque la faute était jugée plus grave : cris séditieux, dispute ou tapage dans les écuries, l’ensevelissement se prolongeait quinze, vingt ou même trente jours dans les mêmes conditions et sous le même régime. Les malheureux qui en étaient l’objet sortaient, d’un pareil tombeau, anéantis au physique comme au moral.

Enfin, pour ce que nos vainqueurs du moment qualifiaient « crime » à leur encontre, les conseils de guerre sévissaient sans pitié. Un mouvement de révolte, une menace même verbale, un geste du poing, et c’était la mort, tout au moins la réclusion pour de longues années dans une forteresse. Le colonel, dans sa fureur haineuse, prenait plaisir à provoquer ces condamnations et, malgré les efforts concilians du capitaine von P…, nombreux furent les infortunés qui disparurent ainsi, sans doute pour jamais, dans les geôles et les ergastules impériales !