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« Enfin, monsieur le ministre, sommes-nous prêts ?… »

Nouveau silence, plus court que le premier, mais non moins impressionnant. Puis, M. de Broqueville, très calme, très maître de lui, parlant lentement en scandant les mots, répondit : « Oui, nous sommes prêts. La mobilisation s’accomplit dans des conditions merveilleuses. Commencée hier matin, elle est presque achevée. Demain soir, l’armée sera en état de marcher… demain matin même s’il le fallait absolument. Mais… il y a un mais… nous ne possédons pas encore notre artillerie lourde. »

Quelques courtes phrases furent encore échangées. Puis tout à coup M. de Broqueville tira sa montre : « Il est huit heures dix, dit-il, il faut prévenir immédiatement le Roi et demander à Sa Majesté l’autorisation de convoquer le Conseil au Palais à neuf heures, les ministres d’Etat à dix heures. »

Il partit presque aussitôt pour le Palais où il mit le Roi au courant de la situation. M. Davignon et le baron van der Elst restèrent seuls. Les autres assistans sortirent. Le chef du cabinet alla s’occuper avec M. Costermans de convoquer le Conseil des ministres. Je trouvai dans le bureau du comte d’Ursel une réunion assez nombreuse. Le bruit qu’un événement se produisait avait couru dans le Ministère comme une traînée de poudre. Quelques fonctionnaires et diplomates restés tard au travail s’étaient réunis là, guettant la sortie de ceux qui étaient enfermés avec le ministre. M. de Gaiffier et moi les mîmes au courant de ce qui se passait. C’est avec un vrai sentiment d’orgueil que je le déclare : pas un ne mit en doute une seconde que la réponse à la note allemande pût être autre chose qu’une fin de non recevoir indignée. Certains furent atterrés, mais la plupart vibrèrent de la grande émotion patriotique qui, le lendemain, devait secouer la nation tout entière : — « Il vaut mieux que l’Allemagne ait abattu son jeu. Nous sommes fixés. Il n’y a plus d’hésitation possible, tandis qu’on pouvait redouter les plus cruelles incertitudes sur ce que nous aurions à faire. L’armée saura tout de suite où est l’ennemi, elle se battra avec enthousiasme ! Et après tout, nous serons soutenus par la France. L’Angleterre marchera. Elle ne peut laisser sacrifier la Belgique. Son honneur et son intérêt le lui interdisent. Et puis, si nous sommes écrasés, ce sera avec gloire, et notre sort ne sera pas pire, en dernière analyse, que