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si nous nous laissions faire ! Si nous cédions, nous ne pourrions plus jamais soutenir le regard d’un Français ou d’un Anglais… »

Telles étaient les phrases qui s’entre-croisaient. A peine une ou deux allusions aux horribles conséquences que notre réponse, — il semblait qu’elle fût faite déjà, — allait attirer sur notre cher et malheureux pays.

Vers huit heures et demie, j’allai prendre seul un rapide dîner dans un restaurant de la place Royale. Je me souviens de l’effet étrange que me fît la salle vivement éclairée, et de l’espèce d’angoisse avec laquelle j’observai les consommateurs assis aux tables voisines. Ils ne savaient rien, ils avaient lu les journaux de l’après-midi, le XXe Siècle, le Soir, contenant les déclarations rassurantes faites le matin même par M. de Below-Saleske aux reporters de ces deux feuilles… ils étaient gais, insoucians… Et moi, j’étais écrasé par le poids de ce que je savais, du secret qui serait révélé le lendemain et qui donnerait un si cruel réveil à tous ceux qui m’entouraient. Je me demandais si j’étais le jouet d’un cauchemar, ou si j’étais bien éveillé.

Un peu après neuf heures, je retournai au Ministère. M. Davignon était parti pour le Palais. Le baron van der Elst l’avait accompagné. Le secrétaire général assista, en effet, aux deux conseils qui se succédèrent dans la nuit.

Le baron de Gaiffier s’était mis au travail dans le bureau du ministre. Je l’y rejoignis. Il avait déjà commencé à rédiger un projet de réponse à l’ultimatum allemand !… « Voyez-vous, me dit-il, le ministre va rentrer tout à l’heure et on nous demandera de faire la réponse. Comme il n’y a pas de doute possible sur le sens de celle-ci, j’ai commencé déjà pour gagner du temps… »

Sans doute écrira-t-on quelque jour pour l’Histoire les détails de la séance du Conseil des ministres qui, commencée à neuf heures du soir sous la présidence du Roi, continuée à dix heures avec les ministres d’Etat qu’on avait pu rassembler, ne fut interrompue qu’à minuit pour recommencer ensuite vers deux heures et demie du matin et durer encore jusque près de quatre.

Pendant la première partie de cette longue séance, les idées générales de la réponse à donner à l’Allemagne furent