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« chasseurs » lancés à leur poursuite. Et j’aurais encore à tirer du livre de M. Thomas Smith maints autres morceaux qui nous démontreraient avec non moins d’évidence la pleine réalité historique d’une transformation subite et prolongée de l’Allemagne entière en ce « vaste asile d’aliénés » dont parlait tout à l’heure le policier de Stuttgart, — ou, plus exactement, en un asile de fous furieux s’acharnant avec une férocité implacable à torturer des milliers d’innocentes victimes.

Qu’il me suffise de citer simplement, avant de finir, ces quelques lignes adressées par un « officier allemand » au Berliner Zeitung du 5 août 1914, — en invitant le lecteur français à les rapprocher de nombreux passages de l’article du 1er août 1915 où je décrivais, d’après le livre de M. Rezanof, les tortures infligées aux véritables voyageurs russes dans la même Gare de Potsdam, à Berlin :


Avant-hier, 3 août, il n’y a pas eu moins de soixante-quatre « espions russes » amenés au bureau de police de notre Gare de Potsdam. Pas un seul, d’ailleurs, n’a été maintenu en arrestation, et cela pour ce bon motif que tous se sont trouvés être d’indubitables citoyens allemands. Parmi ces hommes que j’ai vus ainsi empoignés et menacés de mort par une foule furieuse, sur la Place de Potsdam, figuraient, par exemple : un major prussien retraité, qui était venu attendre l’arrivée de son fils ; un chirurgien de l’armée territoriale ; un haut fonctionnaire de nos Cours de Justice ; et enfin un officier de l’armée bavaroise, que sa grande taille avait fait prendre pour un Russe. Un garçon de boutique ivre avait tout particulièrement excité la foule contre ce dernier « espion, » de telle sorte que je l’ai vu vraiment en danger de mort. Le malheureux a été sauvé par quatre officiers prussiens, qui ont fait semblant de vouloir se charger de l’incarcération de leur collègue bavarois, et ont réussi de cette manière à l’emmener à l’abri des coups[1].


Je dois ajouter que ces extraits de journaux allemands nous offrent un échantillon bien « typique » de la façon dont procède,

  1. Et comment ne pas signaler encore, à propos de cette « chasse à l’espion russe, » un échantillon vraiment prodigieux de l’aplomb avec lequel, désormais, tout Allemand vit et se meut et exulte dans le mensonge ? Désirant montrer à ses lecteurs combien la déloyauté de l’Angleterre a profondément irrité la nation allemande, un amiral prussien, auteur d’un pamphlet qu’il a intitulé : A bas l’Angleterre ! a trouvé tout simple d’écrire : « La haine de l’Allemagne pour l’île hypocrite a été si amère qu’elle a pris la forme de démonstrations hostiles contre l’ambassade anglaise de Berlin, tandis que tous les représentans diplomatiques des autres États ennemis ont pu s’éloigner sans que personne s’avisât de les molester d’aucune façon. » Pour ne rien dire du départ, déjà bien « molesté, » du représentant de la France à Berlin, que l’on se rappelle seulement la peinture que nous fait le livre de M. Rezanof de la manière dont tout le personnel de l’ambassade de Russie a été poursuivi, hué, et brutalement frappé pendant sa dernière traversée des rues de Berlin !