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« canard » qui lui était apparu simplement comme capable d’accroître la fièvre belliqueuse de ses compatriotes. Il n’avait pas prévu surtout, dans l’espèce présente, qu’une annonce telle que celle-là risquait fort de provoquer, chez ses compatriotes, une autre « fièvre » d’ordre plus personnel, — en leur révélant la possibilité pour eux de s’approprier une partie au moins de ces fabuleux lingots d’or offerts à la Russie par le Trésor français. Et de quel terrible prix, cette imprudence fâcheuse allait être payée !

« L’avis officiel annonçant le passage, sur nos routes, d’automobiles français, — écrivait un journal de Leipzig, dès le 6 août suivant, — a surexcité l’imagination de nos paysans jusqu’au délire le plus incroyable. » Et sans doute ce « délire » devait avoir déjà, depuis lors, vivement inquiété les pouvoirs publics : car le, fait est que, dès ce même 6 août, la Direction Générale de l’Armée ordonnait d’insérer dans tous les journaux un nouvel « avis officiel, » — cette fois pour déclarer que le passage de voitures françaises n’était rien qu’une « fable, » et qu’il importait de « mettre fin tout de suite à l’extravagante chasse ouverte, un peu partout, contre de prétendus automobiles ennemis. »

Tous les jours, désormais, pendant plusieurs semaines, la presse allemande allait publier des « avis officiels » de la même sorte, attestant solennellement à la population que jamais le gouvernement français n’avait eu l’idée de faire passer, par les routes allemandes, la moindre somme d’or. Mais, cette fois encore, c’était le démenti qui ne « prenait » pas ! L’avidité instinctive du paysan allemand, soudain réveillée, ne consentait plus à se rendormir. Et sans cesse les journaux, après avoir de nouveau proclamé la fausseté de l’annonce « officielle » du 4 août, étaient contraints d’enregistrer de « déplorables accidens » comme ceux-ci :


La « chasse aux automobiles français, » énergiquement dénoncée par la Direction Générale de l’Armée, continue à produire les résultats les plus désastreux. Près de Leipzig, un médecin et son chauffeur ont été tués à coups de fusil par des paysans qui les prenaient pour des officiers français. Entre Berlin et Kœpenick, un groupe de ces civils armés qui se tiennent en permanence au bord des routes, dans toute l’Allemagne, afin de guetter le passage de fabuleux automobiles français, ont essayé d’arrêter une voiture. Devant leurs instances, le chauffeur s’est vu obligé de serrer le frein si brusquement que la voiture s’est jetée contre un arbre, tuant ou blessant grièvement les officiers prussiens qui s’y trouvaient. A Munich, un chauffeur a été tué par une sentinelle, parce qu’il ne s’était pas arrêté assez vite. Aux environs de Büren en Westphalie, une enfant de douze