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mise à la retraite d’office d’un des deux frères Brusati. Mais M. Salandra avait eu le tort de ne pas s’exprimer en termes nets et qui ne pussent prêter à l’équivoque ; quand, un instant plus tard, il le fit, il était trop tard. Le prétexte avait été fourni, et il avait été saisi. Quiconque a tant soit peu l’habitude des assemblées sent bien que désormais l’affaire était jugée et que la Chambre n’écoutait plus. Elle se dressa certainement, ou tout entière, ou presque tout entière, pour applaudir l’armée, dans une acclamation qui dura plus de trois minutes. Mais vainement M. Salandra chercha et rencontra, ou rencontra naturellement sans les chercher, les plus dignes, les plus fiers accens. Vainement il se retrouva, il s’affirma tel qu’on l’avait connu aux meilleurs jours du mois radieux de mai 1915. Il se rassit dans le silence. Seuls la droite et le centre, quelques fidèles à gauche, marquaient une de ces approbations molles, timides et tristes qui, dans les Chambres, ont des airs de consolation et comme de condoléance : furtive poignée de main d’amis pressés de quitter le convoi. Les « démocrates constitutionnels, » « les socialistes réformistes » et les radicaux, hier ou avant-hier fervens et vibrans, demeuraient immobiles. Et cette immobilité était une condamnation, ou plutôt une exécution, car la condamnation avait été portée en secret et d’avance, sans avoir rien entendu, dans la volonté longuement mûrie de ne rien entendre.

Ce fut, pendant quelque temps encore, selon le rite accoutumé, le défilé des « interventions » annoncées et des explications de vote. Les socialistes Graziadei et Turati, le républicain Pirolini, qui se chargea d’exploiter le pseudo-dissentiment Salandra-Cadorna, le radical Alessio, apparurent successivement. Puis la Chambre fut mise en face de deux ordres du jour; l’un, de M. Luciani : « La Chambre, confiante dans l’œuvre du gouvernement, approuve le projet de loi; » l’autre, de M. Turati : « La Chambre ne consent pas au ministère actuel l’exercice provisoire des budgets, et passe à l’ordre du jour. » M. Salandra déclara accepter le premier, repousser le second, et demander le vote par division, pour ne pas lier au sort du Cabinet les nécessités de l’État, et pour que, même le ministère renversé, la vie de la nation en guerre ne fût pas interrompue. Alors se levèrent tour à tour le radical Girardini, le giolittien à demi repenti, autrement dit non neutraliste, rallié à l’intervention, Leonardo Bianchi, le nationaliste Medici del Vascello, le socialiste réformiste Berenini, le catholique Meda, un autre giolittien converti, M. Carlo Schanzer; et, par surcroit, MM. Gallenga, Cavagnari, Arlotta. Et tous, à l’exception des deux derniers, refusèrent leur confiance à M. Salandra ; et tous, à peu