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Mais il ne faut pas être injuste et, pour notre part, nous ne voulons pas l’être. Nous ne laisserons pas partir sans un hommage M. Salandra, à qui, dans notre gratitude, nous associons M. Martini. Tous les deux, avec un troisième, M. Sonnino, furent les bons artisans de la grande œuvre ; il y eut un jour où ils se révélèrent non inférieurs aux plus grands.

Dans la séance du 10 juin, un orateur, M. Graziadei, je crois, s’est ingénié à écraser M. Salandra sous le poids de la mémoire de Cavour. « Cavour, à votre place, aurait fait ceci, aurait fait cela. » Qui le sait ? C’est le cas de le dire : Chi le sà ? Cavour n’eût peut-être pas fait du tout, dans le détail de la conduite à tenir, ce que croit M. Graziadei, — nous nous en remettons là-dessus à l’arbitrage de l’expert M. Ruffini, qui, sans doute, connaissant à fond le sujet, entourerait de réserves sa sentence. Mais, pourtant, j’ose bien écrire que, dans l’ensemble, Cavour eût fait précisément ce qu’a fait M. Salandra. Comme lui, il eût vu, dans le même ciel, à la même place, « l’étoile d’Italie. » Comme lui, entre le « oui » et le « non, » il eût du même ton, à la même heure, prononcé le « oui » solennel sans détour et sans retour. Parlant, comme lui, du Capitole, il eût exactement dit ce que dit le « modeste citoyen » de Lucera, haussé par la majesté du lieu à la majesté même des consuls de Rome. Pas plus que lui peut-être, il n’eût fait fléchir ses principes, ni élargi son gouvernement; pas plus que lui, et peut-être moins encore, car un Cavour s’accommode mal de se détendre et en quelque sorte de se dissoudre, en se multipliant, en se monnayant. Que M. Salandra retourne donc avec sérénité à ses études de politique et de législation, qui ne cessèrent jamais de lui être plus chères que le pouvoir ou ce qu’on nomme ainsi dans le train courant des temps ordinaires. Le pis que l’histoire, même partiale, puisse dire de lui, c’est ce qu’il a, de sa propre main, dans son élégant essai sur Manfred au Chant troisième du Purgatoire, noté que Dante dit de Virgile : « Ce fut l’homme à la conscience pleine de dignité et nette, qui ne pécha tout au plus que par «ne pas faire. » Nous ne demandons pas mieux que de saluer d’avance, en ses successeurs, l’énergie dont ils l’ont accusé de manquer, et qui se mesurera à ce qu’ils feront.

L’état-major italien, au milieu de ces agitations, a déjà donné des preuves de sa fermeté. Qu’il soit vrai ou qu’il ne le soit pas qu’une défensive mieux préparée eût pu arrêter plus longtemps et plus loin l’attaque de l’armée autrichienne, cette attaque est maintenant contenue. Lentement, par une répétition d’efforts locaux, puis