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enseignement peu expert à réduire le nombre des illettrés les laisse sans aptitude et sans curiosité pour les complications subtiles de la politique. Elles-mêmes offraient une matière restreinte à la minorité d’intellectuels qui, désireux d’organiser le régime le meilleur pour eux, ne souhaitaient ni bouleversemens dans les richesses, ni agitations dans les esprits, ni nouveautés hasardeuses. Les antipathies de quelques-uns contre le catholicisme étaient contenues par la gratitude intéressée de tous envers un si puissant gardien de la stabilité sociale. L’Eglise, consciente de n’être pas menacée par ces réformes, se contentait de les ralentir avec sa prudence ordinaire, et parce que l’exercice des libertés les plus légitimes prépare à la désuétude des disciplines nécessaires. Les novateurs ne se distinguaient que par les graduations infinitésimales de leurs timides audaces. Leurs idées étaient si peu différentes qu’ils ne cherchaient pas le pouvoir pour y appliquer des doctrines : les divergences de programmes fournissaient aux ambitions un prétexte pour se disputer le pouvoir. Comme les principes servaient surtout de déguisement aux intérêts, ce sont les intérêts personnels des électeurs que les hommes publics songeaient à servir ; comme personne dans l’Etat ne pouvait satisfaire, à l’égal du gouvernement, les cupidités, ceux qui possédaient le pouvoir avaient toutes les chances de le conserver par les suffrages. C’est pourquoi la meilleure ressource des oppositions était d’infirmer les suffrages par les émeutes, et comme la plus efficace des émeutes est celle des troupes, puisqu’elle tourne contre le pouvoir la force préparée par lui contre la révolte, les séditions militaires, tour à tour au service de tous les partis, devinrent le moyen habituel de donner ses chefs à l’Etat. Ainsi s’établit, au nom de la volonté nationale, un régime auquel ce qui faisait le plus défaut était le concours de la nation, et le peuple tolérait ces agitations auxquelles il restait étranger, parce que, si elles se perpétuaient à l’avantage exclusif de quelques-uns, elles ne lui causaient pas de trop grave préjudice, que les changemens de personnes ne changeaient pas sa vie, que les guerres des partis laissaient les institutions en paix.

Cette paix dura jusqu’au moment où la chute du second Empire fît en France la place à une troisième République. Dans cette République, la substitution ordinaire s’accomplit de la liberté civile à la lutte religieuse, et les hommes furent vite