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Quand donc on réfléchit que chaque journée de guerre supplémentaire entraîne une perte de vies humaines et une dépense d’argent, on est conduit à penser qu’il doit arriver un moment où, l’essentiel étant acquis, les bénéfices supplémentaires à espérer, fussent-ils même assurés, ne compenseront plus les frais supplémentaires nécessaires pour les obtenir. Ace moment, la continuation ou la cessation de la guerre se résume en une balance commerciale qui penche vers la paix et c’est le cas de dire, comme les Anglais : business are business ou no sentiment (les affaires sont les affaires ; pas de sentiment). Nous pouvons être assurés d’avance que les Allemands, très calculateurs, très commerçans et pour lesquels cette entreprise manquée ne fut au début qu’une vaste opération de piraterie mercantile, sauront établir longtemps d’avance ce bilan, et qu’ils céderont ou continueront, suivant que le fléau de la balance s’inclinera dans un sens ou dans l’autre : un certain poids supplémentaire étant introduit par leur amour-propre militaire ou par les préoccupations dynastiques. C’est le même calcul que nous devons faire nous-mêmes, afin de juger, en deux mots, s’il faut admettre la possibilité, tout en reprenant le territoire lorrain qui englobe les minerais de fer, de laisser aux Allemands, sur une partie de ce territoire, tel ou tel avantage économique…

Que le lecteur, arrivé là, ne s’indigne pas trop vite en me voyant me faire ainsi l’avocat du diable ! Le sujet vaut la peine d’être froidement examiné. À cette question technique, s’il ne s’agissait que des industries du temps de paix, je répondrais sans doute, au risque de scandaliser, en prêchant la conciliation et j’admettrais, dans une certaine mesure, le raisonnement que plus d’un pourra faire alors. Ce raisonnement, le voici : « Chaque jour de guerre nous coûte actuellement, à nous seuls, indépendamment de toute autre considération moins matérielle, sans compter le manque à gagner et l’atrophie de notre commerce, simplement en dépenses de l’Etat, environ 70 millions. Un seul mois d’hostilités supplémentaires représente une bien grande quantité de minerais vendus avec bénéfice, de rails, de têtes, de poutrelles, de machines, de produits quelconques fabriqués avec ce fer et exportés fructueusement à l’étranger-Une indemnité de guerre chiffrée par autant de milliards pourra-t-elle être imposée, pourra-t-elle être touchée ? Va-t-on sacrifier du sang français et accroître la charge écrasante de