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dix ans, la connaît-il quand il parle de christianiser Ceylan en moins de temps qu’il ne faut pour qu’un courrier aille à Lisbonne et en revienne ? Quant au vice-roi, qui devait continuellement lutter contre les ennemis de l’extérieur, il était excusable de reléguer au second plan, si bon chrétien qu’il fut, les intérêts immédiats d’une religion dont l’intérêt permanent dépendait de la sauvegarde des possessions portugaises. Fâcheuse lettre qu’on pouvait interpréter comme une mise en accusation de l’homme dont le courage et la décision avaient épargné au Portugal la ruine de ses colonies.

L’air de l’Inde était décidément mauvais pour François, et le souvenir de son échec politique dans l’affaire de Manar ne l’empêcha pas de retomber aux mêmes erremens. Il s’occupa d’abord de l’état des missions qu’il avait fondées. Le roi du Travancore avait changé de sentiment à l’égard des Portugais et des missionnaires ; et le Père, que François y avait envoyé, avait quitté son poste, découragé. François l’y rappela sévèrement. Au cap Comorin, Antoine Criminale et Henri Enriquez, deux hommes selon son cœur, parlaient déjà le tamoul, composaient une grammaire et un lexique, et se débattaient avec une belle opiniâtreté dans les embarras que leur créaient chaque jour les Musulmans, les Brahmes et leurs chrétiens. On était loin de la grande moisson rêvée.

Le voisinage de Ceylan raviva son ancienne blessure. Une nouvelle occasion d’y implanter la foi semblait s’offrir. A mesure que le roi de Cotta s’était éloigné des Portugais, son rival le roi de Kandy s’était rapproché d’eux. Il prétendit même avoir reçu le baptême d’un moine franciscain, mais que l’heure n’avait pas encore sonné de publier sa conversion ; et il priait, en attendant, qu’on attachât à sa personne cinquante soldats portugais. Les soldats arrivèrent flanqués de moines. Battu par le roi de Cotta, il lui en fallut bientôt cinquante autres. Et tout à coup on ne fut plus bien sûr que le monarque était chrétien. La pagode de Kandy, qu’il avait fait maquiller en église catholique, redevenait un temple bouddhique parfumé de frangipanes. Les gongs n’y sonnaient plus la messe. On se perdait en conjectures. Les uns croyaient à la conversion ; les autres pensaient qu’elle était imminente ; d’autres estimaient que tout n’était que comédie. Il ne devait pourtant pas être extrêmement difficile de retrouver, s’il existait, le Franciscain qui lui avait administré le baptême.