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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/368

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roi de Kandy ; et tous deux tombèrent d’accord que le Portugais était leur seul ennemi.

François n’était point de force à déjouer les ruses des princes tamouls ou cinghalais. L’âme hindoue se dérobait à son autorité, demeurait fermée à sa séduction. J’en vois bien des raisons, mais une surtout qu’il faut noter. C’est qu’au fond, au fin fond de lui-même, malgré toute sa charité, il n’aimait pas l’Inde et n’aimait rien de l’Inde. « Nation la plus ignorante que j’aie encore rencontrée ! écrira-t-il à Ignace. Nation très barbare, inconstante, sensuelle, fourbe, vicieuse, déraisonnable. » Il ne s’intéresse aux Hindous que par volonté. Le ton change, dès qu’il parle des Japonais. Il manifeste à leur endroit une curiosité qui descend jusqu’aux moindres détails. Il a suivi le pinceau de Yagirô et remarque qu’il écrit de haut en bas. « Pourquoi, lui demande-t-il, n’écrivez-vous pas comme nous de gauche à droite ? » Et Yagirô de lui répondre : « Et vous, pourquoi n’écrivez-vous pas comme nous ? Puisque la tête de l’homme est en haut et ses pieds en bas, il est naturel que son écriture aille du haut en bas. » François rapporte à Ignace cette belle raison. Ce sont là de petites choses où se sent la vraie tendresse. Il ne nous donnera pas un seul trait semblable sur les mœurs et les usages de l’Inde.

Jean de Castro avait encouragé son projet d’aller au Japon, mais à la condition qu’il ne s’éloignât point de Goa avant de lui avoir fermé les yeux. François y revint en avril ; et, le mois suivant, le vice-roi l’y rejoignait, abattu par la maladie et par la nouvelle d’un gros échec de sa flotte devant Aden, dont il avait rêvé la conquête. Il s’éteignit le 6 juin. Sa cassette ne contenait qu’une discipline dont les taches rouges prouvaient qu’elle lui avait servi, quelques pièces de monnaie, et une mèche de sa barbe. Au lendemain de la victoire de Diu, à court d’argent, il avait envoyé un de ses fils demander aux habitans de Goa vingt mille perdaos pour payer ses soldats, et il avait joint à sa demande, comme gage, cette mèche de poils. La ville lui renvoya aussitôt l’étrange nantissement avec ses actions de grâce et la somme dont il avait besoin. Les femmes n’avaient pas hésité à se dépouiller de leurs parures et de leurs pierreries. Avant de mourir, il dicta à François et à trois autres témoins un acte où il recommandait au Roi des officiers qui s’étaient distingués et le priait « pour l’amour de Dieu et en