Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/418

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a déterminés au sacrifice d’où toute espérance n’est pas bannie, pour arrêter une offensive qui s’annonçait triomphante.

Quand les troupes ont fait un effort violent et prolongé, soit pour l’attaque, soit pour la défense, le commandement les remplacé par des troupes fraîches qui devront continuer la lâche commencée. Il serait imprudent de différer la « relève » jusqu’à ce que les combattans engagés dans la zone de la bataille aient atteint la limite de leurs forces physiques et morales. Bien des faits en apparence inexplicables n’ont pas d’autre cause qu’une dépression à la faveur de laquelle l’adversaire, s’il la devine, peut tout se permettre. Un chef expérimenté sait toujours, même au passage, tâter le pouls de la troupe. Quoi qu’il en coûte à son amour-propre, il fera donc preuve de caractère et de jugement s’il ne confond pas ses désirs avec la réalité, et si, grâce à lui, renseignée à temps, l’autorité suprême, par une relève opportune, dispose pour ses combinaisons ultérieures d’exécutans sur qui elle pourra compter.

Les relèves pendant la bataille sont dangereuses et délicates. Elles mettent à de rudes épreuves la patience et la chance personnelle des chefs de tous grades qui, le plus souvent pendant la nuit, conduisent leur troupe par des cheminemens bouleversés, à travers des terrains arrosés à intervalles variables par des tirs de barrage, jusqu’à l’emplacement qu’elle doit occuper. Les repères topographiques sont illusoires dans l’obscurité que rendent plus profonde les fulgurances des fusées éclairantes ; on ne trouve pas les guides aux rendez-vous que des ordres minutieux prévoyaient ; on erre comme dans un labyrinthe inextricable sans arriver au but où l’on est attendu ; les heures fuient, les patrouilles lancées à la découverte ne reviennent pas ; les difficultés s’amoncellent et le découragement effleure les plus coufians. Puis, sous l’influence d’une fée bienfaisante, tout s’aplanit et tout s’arrange. Au point du jour chacun est en place ; les camarades remplacés ont disparu, l’âme légère, et, comme disait l’autre, la séance continue. Il y a beaucoup de relèves meurtrières ; on n’en citerait pas qui n’ont pu être effectuées à temps.

Dans les batailles de la guerre mondiale, les comparses les plus obscurs, même ceux que les combattans classent avec une ironie sans amertume sous la rubrique « embusqués du front, » doivent souvent faire preuve d’énergie et de courage.