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ramassé par des mains amies, absous par le prêtre-soldat de la compagnie ou du bataillon, que les êtres aimés connaîtront l’endroit où ils pourront venir s’agenouiller après la guerre, quel combattant n’a senti au moment suprême s’affermir sa volonté d’aller jusqu’au bout ?

Plus utile encore dans le développement de la bataille est l’intervention des agens de transport, conducteurs souvent jalousés et raillés des voitures régimentaires et même des autos-camions. Sans doute, ils échappent eux aussi aux dangers quotidiens des longues périodes d’accalmie, et ce n’est pas eux que les peintres de mœurs militaires à la recherche de types de « poilus » bien pittoresques prennent pour modèles. Pourtant ils ont quelque mérite à faire en temps de crise leur obscure besogne de ravitailleurs. Ils entretiennent les offensives, ils rendent possibles les longues résistances, par les vivres, les munitions, le personnel, le matériel qu’ils apportent ; des milliers de blessés leur doivent la vie pour la rapidité avec laquelle ils les éloignèrent du théâtre de la lutte. Quelque violens que soient le bombardement et la fusillade, quelque sombre et mauvaise que soit la nuit, les théories de véhicules s’allongent et se suivent sur les routes défoncées, sur les pistes balayées par le vent meurtrier des projectiles. On voit alors se transformer le conducteur égoïste et paresseux qui grognait en quittant chaque soir sa paisible grange du cantonnement où la sécurité est presque absolue, qui ne connaissait que sa voiture et ses chevaux et qui laissait volontiers se tirer d’affaire à sa guise un confrère dans l’embarras, qui savourait sa quiétude en mangeant chaud et buvant frais et qui dédaignait les railleries en songeant que le camarade voudrait bien être à sa place au lieu de monter la garde ou de se battre dans les tranchées. Le charretier indolent et madré se révèle énergique et diligent. « Ils ne doivent manquer de rien là-bas » est le principe indiscuté qui pendant la bataille inspire les pensées et les actes de ces braves gens. Vétérans de la réserve et territoriaux des régimens actifs, chefs de famille presque tous, ils ne connaissent pas d’obstacles. L’ennemi a beau tirer sur les ravitaillemens que lui dénoncent entre deux accalmies le grincement des roues, le pas lourd des attelages, le ronflement des moteurs ; il peut démolir des voitures, tuer ou blesser hommes et chevaux : les vivres arriveront aux cuisines, les obus aux canons ; le