Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/424

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

drains éventrés par les pioches des combattans ne peuvent plus dessécher. Les machines et les engins agricoles, abandonnés par les industriels et les paysans dans la hâte de leur exode, se rouillent ou s’enlizent sans emploi. Peut-être l’administration, civile ou militaire, aurait-elle été prévoyante en faisant réunir en temps opportun à l’arrière tout cet outillage qu’il sera difficile et coûteux de remplacer quand la paix réveillera les champs et les ateliers. Les lièvres et les lapins, les cailles et les perdrix pullulent sur les jachères, joyeux de vivre dans une époque où les humains ne pensent plus qu’à se chasser entre eux. Pourtant leur quiétude n’est pas sans bornes. Parmi les soldats tapis dans les tranchées, des braconniers irréductibles veillent, à qui la volupté des visites aux collets bien placés fait oublier le danger des promenades furtives hors des boyaux.

Dans les secteurs réputés tranquilles, où la canonnade intermittente n’atteint jamais une grande intensité, la population a préféré les risques d’un obus hypothétique aux tristesses de l’exil. Seules, quelques maisons aux façades éventrées, aux toits défoncés, témoignent çà et là de l’insécurité ambiante. Ailleurs, c’est la topographie qui assure aux localités une inviolabilité relative. Les Allemands n’aiment guère gaspiller leurs munitions et, s’ils ne possèdent pas d’observatoires convenables, ils ne font pas volontiers sur les cantonnemens des tirs qu’ils seraient incapables de régler. Ainsi, dans la région du bois Le Prêtre, les villages étaient à peu près intacts et les habitans y vivaient sans trop d’alarmes à deux kilomètres environ de tranchées où l’on se battait jour et nuit avec fureur.

Quand ce n’est pas le profil du terrain ou les difficultés d’observation qui préservent les agglomérations rurales et urbaines, il faut attribuer la longanimité apparente de l’ennemi a de machiavéliques desseins. Nos combattans, dont l’esprit est sans cesse en éveil, ne sont jamais à court d’explications. D’après eux, les Allemands ménageraient des centres agricoles ou industriels dont ils espèrent s’emparer tôt ou tard ; ils respecteraient les localités où leurs nationaux ont conservé des intérêts d’actionnaires, de commanditaires ou d’associés, grâce à des artifices que les enquêtes les plus subtiles ne permettent pas toujours de découvrir. Mais le temps a fait justice de ces combinaisons d’avant-guerre. En réalité, l’ennemi ne bombarde pas