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n’en parlaient pas d’autre. M. Aitken nous conte avec humour une anecdote dont il garantit l’authenticité. Un Canadien-Français bien connu à Montréal, le major Hercule Barré, arrivé sur le front pendant la bataille de Saint-Julien, était à la recherche de la compagnie à laquelle il venait d’être affecté. Il faisait déjà presque nuit. Il rencontre des officiers anglais et essaie de se renseigner auprès d’eux. Au premier mot qu’il leur dit ou croit leur dire dans leur langue, ils le prennent pour un espion et le conduisent au quartier général. Il s’y trouvait par hasard un de ses frères d’armes qui l’accueille en riant et lui fait rendre sa liberté. Il se remet en route : presque aussitôt, des cyclistes, non moins étonnés de son accent, l’arrêtent à leur tour. Nouvelle comparution au quartier général, nouvelle intervention du frère d’armes, troisième départ dans la direction des tranchées. Cette fois, c’est une balle qui l’arrête ; il tombe, et se traîne au bord de la route en appelant. Quelqu’un vient à passer, et précisément l’officier d’état-major qui à deux reprises l’avait tiré d’embarras : « Qui appelle ? — Moi, Barré. — Comment, Barré, c’est encore vous ? Et cette fois, qu’est-ce que vous voulez ? — Des brancardiers. »

Le major Hercule Barré est aujourd’hui lieutenant-colonel, et commande un nouveau régiment, le 150e, où, fort heureusement pour lui, tout le monde parle français.

Il en va de même au 22e, qui est déjà sur le front et qui s’y est même distingué en plusieurs occasions. Un jour qu’il changeait de secteur, les hommes, en traversant un de nos villages entonnèrent une vieille chanson de route qui se chantait en France au XVIIIe siècle, et que les soldats de Montcalm leur ont apparemment léguée :


Vlà l’bcau temps,
Vlà l’joli temps,
Ma mie m’appelle.
Vlà. L’beau temps,
Vlà l’joli temps,
Ma mie m’attend.


Sur le seuil des portes, les villageois écoutaient et regardaient, ébahis. — Quoi ! des soldats anglais qui chantent une chanson française, et dont les voix sonnent comme des voix de chez nous ? Et pourtant, ceux-ci sont bien des Anglais : ils