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civilisation précieuse contre l’assaut des barbares. A ceux-ci il peut reconnaître de fortes vertus :


Quelques vices qu’ils aient, les Barbares sont braves,
Leurs corps sont vigoureux, leurs cœurs virils et graves,
Capables de trépas pour leur Dieu, pour leur nom,
Amoureux de combats et de gloire…


Mais lui-même n’est pas dans leurs rangs. Son rôle est de protéger un peuple illustré par ses artistes et ses philosophes et chez lequel les trésors des âges laborieux se sont accumulés. Il n’a pas le culte de la force, quelle qu’elle soit. Il prépare et entretient celle qu’il faut pour résister à la force, celle qui protège la beauté contre la sauvagerie, qui arme l’esprit contre la brutalité. Et c’est parce qu’il croit impossible de maintenir une vigueur de résistance efficace chez un peuple qui tend à voir dans toute guerre le fléau suprême, dans toute armée le mal par excellence, qu’il se fait l’avocat de la guerre et de l’armée. C’est pour cela qu’il prophétise sinistrement la ruine des nations désarmées par trop de bien-être ou de confiance.

Il y a dans sa riposte telle page d’éloquence qu’il eût été presque trop effrayant de relire dans la semaine tragique qui précéda la victoire de la Marne, alors qu’une catastrophe paraissait possible, alors que le regret ou le remords d’une préparation insuffisante hantait les esprits. Nous pouvons aujourd’hui, après l’orage passé, en sentir utilement le frisson :


<poem> Si durant cette paix dont tu parlais naguère, Les corps perdent leur force en un trop long loisir, S’ils se font délicats, ou lourds et las d’agir ; Si les cœurs qu’un repos amollissant entoure, Et qui n’apprennent plus du péril la bravoure, Redoutant de souffrir pour n’avoir pas souffert, Et déshabitués du sursaut âpre et fier Qui rassemble tout l’homme en des coups d’énergie, Flottent dans l’indolente et vague nostalgie D’un bonheur dont la terre est le riant décor ; S’ils deviennent, surtout, incapables d’accord ;… Si le rythme ordonné qu’est toute discipline Se relâche, languit, se rompt, se dissémine, En stupide inertie, en dément désarroi ; Si le pouvoir d’aimer un même objet décroît, Et le commun vouloir devant un même obstacle,