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de Dinant et d’Aerschot, et la foule innombrable de ces bourgeois d’outre-Rhin qui, naguère, se sont divertis à supplicier durant des semaines des milliers de femmes et d’enfans russes égarés parmi eux, un flot soudain de colère prend possession de nous, où s’ajoute volontiers, par surcroît, une ombre de frayeur. Nous songeons à l’immensité de la catastrophe qui serait nécessaire pour relever jusqu’à notre niveau moyen de civilisation cette race qu’un siècle de richesse et de puissance imméritées a fait tomber si bas ! Quelque infaillible que nous apparaisse, dès aujourd’hui, le triomphe prochain de la France et de ses Alliés, lui sera-t-il donné d’être assez complet pour imposer sérieusement à l’Allemagne l’espèce de « baptême » d’angoisse et d’humiliation dont elle aurait besoin pour redevenir un peuple pareil aux autres ? Ou bien, faute pour elle d’être contrainte à subir ce salutaire baptême, quel danger permanent pour l’avenir de la chrétienté, — résultant de la présence néfaste, au centre même de l’Europe, d’un tel foyer de corruption morale et de sauvagerie !


Mais il est temps que j’arrive aux détails du récit du soldat Arthur Green. Avec son ton habituel de naïve bonhomie, celui-ci nous raconte d’abord de quelle façon, aux environs du Cateau, le matin du 19 août 1914, — cinq jours après son arrivée en France, — il a eu le malheur d’être grièvement blessé, ce qui l’a empêché de continuer à suivre la retraite de son régiment :


C’était le capitaine Watson qui nous commandait. Les balles ennemies ne cessaient pas de pleuvoir ; et, tout juste au moment où je me redressais, le capitaine ayant ordonné la retraite, voilà qu’une de ces balles m’enlève mon chapeau ! Puis nous reculâmes d’environ cent mètres d’un seul coup, sans plus rien voir, car nous étions un peu en contre-bas. Après cela, de nouveau, nous eûmes à reculer d’une vingtaine de mètres ; et ce fut alors que ma course me conduisit au mauvais endroit, car voilà que mon « copain » Johnnie Ashment et moi nous trouvâmes sous le feu d’une mitrailleuse ! J’eus mon affaire, à moi, en plein dans la cuisse. Il me sembla que j’avais reçu un coup de pied d’un éléphant. La chose me rendit malade, je peux bien le dire ; et j’eus vite fait de m’abattre à terre. Je trouvai pourtant assez de force pour déboutonner mon pantalon, je bus toute mon eau, et j’essayai de me relever, en me figurant que j’allais pouvoir courir : mais je constatai que ma jambe ne voulait absolument pas me laisser aller. Du moins fus-je trop heureux de pouvoir me traîner à cent mètres en arrière, de l’autre côté d’une haie.

Je vis là les deux capitaines de ma compagnie, avec environ trente hommes de différens corps. Du Premier Somerset, dont je faisais partie, deux hommes seulement étaient avec eux. Le capitaine Mortimer me dit :