Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/466

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous promets que j’ai eu un moment bien agréable, pendant que tous ces gens hurlaient des injures ou bien nous lançaient à la tête toute sorte d’objets, et que nos gardes se tordaient de rire ! De manière qu’en arrivant dans notre salle, les camarades me disent : « Quoi donc, Jim, tu n’as pas l’air ravi de ton bain ? » Alors je leur racontai tout ce qui s’était passé. Il y avait là un sergent que mon récit avait rendu fou : ne voulait-il pas nous entraîner tous à assommer les gardes ? Mais, cette fois, ce fut mon tour d’éclater de rire, et bientôt personne de nous ne pensa plus à toute cette histoire.


Mais tout cela ne nous offre, décidément, qu’un « avant-goût » encore bien médiocre des épreuves qui attendaient M. Arthur Green au camp de Wittenberg, où ses compagnons et lui sont arrivés le matin du 3 décembre 1914. On les avait entassés, pour les y conduire, dans un wagon à bestiaux, avec de hautes fenêtres grillées ; et, à chaque station, des foules furieuses d’hommes et de femmes les outrageaient, s’efforçaient de les aborder pour les rouer de coups, leur criaient qu’on les emmenait à Berlin pour les fusiller. Le camp de Wittenberg contenait, à ce moment, environ 15 000 prisonniers russes., plus de 2 000 Français, 850 Anglais, et une quarantaine de « civils » belges, population misérable que le typhus et la faim allaient bientôt réduire de l’effroyable façon que l’on sait. Mais aussi bien, dès ce début de l’hiver, les prisonniers anglais surtout apparaissaient-ils tristement déchus de leur ancienne élégance ; dépouillés de leurs manteaux et de leurs casquettes, les uns portaient des vêtemens hors d’usage que leur avaient donnés, par compassion, des collègues français ; d’autres, le plus grand nombre, s’étaient fabriqué des habits et des bonnets avec des morceaux de leurs couvertures. « Quant à moi, ajoute notre narrateur, toute ma garde-robe consistait en une veste et un pantalon avec des trous comme des soucoupes, un fragment de chaussette sur mon bon pied, un chiffon autour de l’autre pied, une botte que j’avais ramassée à Darmstadt, un vieux fragment de chapeau de feutre dont je m’étais fait un soulier pour mon pied gauche, et une calotte qu’un Russe m’avait taillée dans un coin de couverture. » Avec cela un froid mortel, des torrens de neige à peu près chaque jour.

Et nul moyen d’écrire au pays, ou d’en recevoir des nouvelles. Nul moyen, même, d’obtenir sa pleine part du maigre « menu » de la « cantine : » car « à peine voulait-on s’en approcher, que voilà qu’arrive un Allemand qui, reconnaissant un cochon d’Anglais, se hâte de le chasser, à grands coups de fouet ! » Quelques jours après son arrivée, M. Green a vu venir une troupe lamentable de 200 Anglais,