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d’héroïsme et de martyre qui jadis, aux époques les plus hautes de notre histoire, fut le fait seulement d’une élite. Jeune ou vieux, pauvre ou riche, et quel que soit son credo, le soldat français de 1916 sait que la France est une nation qui intervient quand il y a trop d’injustice sur la terre, et dans sa tranchée boueuse, le fusil à la main, il sait qu’il continue les Gesta Dei per Francos.

Roland au soir de Roncevaux meurt en murmurant : Terre de France, mult estes dulz pays.

C’est avec le même mot et le même amour que meurent les soldats d’aujourd’hui. « Au revoir, écrit Jean Cherlomey à sa femme, promets-moi de n’en pas vouloir à la France si elle m’a voulu tout entier. » « Au revoir, c’est pour la France, » dit en mourant le capitaine Hersart de la Villemarqué. — « Vive la France, je suis content, je meurs pour elle ! » dit le brigadier Voituret, du 2e dragons. Et il expire, en essayant de chanter la Marseillaise. — Albert Malet, dont les manuels ont enseigné l’histoire à nos écoliers, s’est engagé pour la guerre ; une balle l’atteint à la poitrine. Il s’écrie : « Mes amis, en avant ! Je suis heureux de mourir pour la France. » Et il s’affaisse sur les fils barbelés devant la tranchée ennemie. « Vive la France, je meurs, mais je suis content ! » crient tour à tour l’un après l’autre des milliers de mourans, et le soldat Raissac du 31e de ligne, blessé à mort le 23 septembre 1914, trouve avant d’expirer la force d’écrire au dos de la photographie de sa mère : « Mourir est un honneur pour le soldat français. »

Ils ne veulent pas qu’on les pleure. Georges Morillot, normalien, sous-lieutenant au 27e d’infanterie, mort pour la France dans la forêt d’Apremont, le 11 décembre 1914, laissait une lettre à ses parens : « Si vous ouvrez cette lettre, c’est que je ne serai plus et que je serai mort de la plus belle mort. Ne me pleurez pas trop : ma fin est enviable entre toutes… Parlez de moi par momens comme d’un de ceux qui ont donné leur sang pour que la France vive, et qui sont morts joyeusement… Depuis ma première enfance, j’ai toujours rêvé de mourir pour mon pays, face à l’ennemi… Laissez-moi dormir où le hasard des batailles m’aura mis, à côté de ceux qui comme moi seront morts pour la France : j’y dormirai bien… Mes chers parens, heureux ceux qui sont morts pour la patrie ! Qu’importe la vie des individus, si la France est sauvée ! Mes bien-aimés, ne