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faibles contre la violence, la force est le droit. Mais quand elle s’exerce contre l’indépendance d’un peuple, et plus encore quand elle travaille à l’asservissement de tous, elle détruit le droit.

Elle le détruit, fût-elle employée, par le plus magnifiquement doué des peuples, à étendre partout les ressources de sa culture. Car le plus riche en dons ne les a pas reçus tous. Chaque race se distingue des autres par des aptitudes et des vertus qui lui sont propres, et constituent son apport particulier à la civilisation commune. Des États médiocres de population et dénués de vigueur agressive sont parfois les premiers par la gloire de leurs lettres, leur culte des arts, leur privilège de propager la générosité et l’espoir dans le monde. Ces énergies, pour être les moins créatrices de force matérielle, ne sont pas les moins utiles, les moins nobles, les moins sacrées. Si un État trop idolâtre de soi-même pour respecter les autres, avide, réaliste, dur, ennemi des chimères et qui parmi ces chimères compte la justice et la pitié, emploie la contrainte pour imposer silence aux génies différens du sien et réduire les peuples aux qualités qu’il possède, aux desseins qu’il poursuit, aux pensées qu’il conçoit, il appauvrit l’humanité. Plus encore qu’il n’en mutile la richesse présente, il en menace l’avenir. Pour substituer ainsi, dans la civilisation du monde, aux spontanéités de toutes les races la discipline autoritaire d’un seul peuple, il faudrait au moins qu’il fût sûr de durer sans vieillir. Si la vigueur de son hégémonie s’affaisse en une décadence, quel sort prépare-t-il à la société humaine quand elle n’aura, pour se conduire, ni ses énergies à elle, qu’il aura détruites, ni ses énergies à lui, qu’il aura perdues ? Si cette force prétend être légitime comme arme d’un civilisateur violent, où est la preuve que le plus violent, au moment même de sa victoire, soit le plus civilisateur ? C’est par sa supériorité matérielle qu’il l’emporte, et plus d’une fois les trésors des races séculaires ont subi une barbarie victorieuse par sa brutalité même.

Dès maintenant, l’Allemagne, quels que puissent être ses dons et par l’usage qu’elle en fait, est barbare. Le plus difficile progrès de la civilisation est sa victoire sur l’instinct primitif qui pousse chaque homme à se préférer à tous les autres ; le bienfait suprême de la civilisation est la solidarité qui lie