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pour vivre dans une lumière indivise de gloire commune. Leur intelligence réaliste voit dans toutes les conquêtes de l’Etat la part de chaque Allemand, et est insatiable d’avantages nationaux parce qu’elle est insatiable de butins particuliers. Les colonies offriront aux familles allemandes qui étouffent sur un sol trop étroit des espaces plus larges, les extensions de frontières donneront de nouveaux marchés aux producteurs allemands, la prépondérance militaire assurera à chaque Allemand dans le monde entier les égards, l’influence et les gains, Servir son pays est pour chacun d’eux se servir, et chacun l’aime pour l’amour de soi.

L’Allemagne par sa prétention d’apporter au monde un ordre nouveau, ne fait que rajeunir la plus vieille des erreurs humaines. Chaque peuple dans l’antiquité s’estimait supérieur à tous les autres peuples par la protection de Dieux supérieurs à tous les autres dieux, et croyait que toute la terre lui avait été préparée comme domaine. Tous les peuples pour se la disputer y perpétuèrent les massacres, l’esclavage, les ruines, et de ces ruines la moindre n’était pas celle du génie particulier à chaque race, et qui, l’un après l’autre, disparurent écrasés par les vainqueurs. Rome acheva ces conquêtes dévastatrices en réalisant l’Empire que les autres avaient rêvé. Son œuvre fut aussi parfaite que pouvait l’être la substitution d’un génie solitaire aux multiples spontanéités des races, aussi féconde que pouvait l’être l’omnipotence au service de l’égoïsme. Mais comme elle n’avait pas instruit l’univers à se conduire mais à se soumettre, quand elle ne sut plus commander la décadence d’une race suffit à la chute d’un monde.

C’est de cette chute qu’il fut relevé par le christianisme. Tout l’avenir fut changé par la doctrine qui opposait à l’inégalité des peuples l’égalité des hommes. En fondant cette égalité sur une dignité antérieure et supérieure à toute différence des conditions humaines, l’Evangile amoindrissait l’importance des races. Elles séparent seulement pour les intérêts et le cours de la vie terrestre les êtres dont la destinée commune et principale est une vie immortelle. Une providence raisonnable a divisé entre ces races les dons utiles à la vie présente des hommes, afin qu’ils se rapprochent, se sentent nécessaires les uns aux autres, s’entr’aident, s’aiment, et qu’elles constituent les familles d’une seule société.