Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/512

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette société, à la fois diverse de nations et une de doctrines, avait autant de chefs temporels qu’elle avait d’États, et un seul arbitre de sa loi morale, le Pape. Elle voulut que, si les chefs d’État dans leurs territoires nationaux exerçaient la souveraineté, ces souverainetés ne s’élevassent point contre les devoirs de justice, de pitié ou de morale, devenus sa civilisation commune. Par le concert des souverains et du Pape elle créa l’Empereur, des souverains le plus haut, qui par sa prééminence devait unir les nations en une société, veiller sur leur fidélité à la loi chrétienne et diriger l’effort de cette chrétienté vers les œuvres d’intérêt général. C’était une hiérarchie très complète, où tous les intérêts avaient leurs garanties, où les plus élevés et les plus internationaux de ces intérêts avaient pour gardien armé l’Empereur qui représentait l’assentiment volontaire des peuples aux lois civilisatrices de l’Eglise. Cette société possédait donc l’unité, et c’était l’innovation suprême du catholicisme que au lieu de laisser les races à leurs solitudes haineuses, il leur eût préparé l’alliance de leurs dévouemens au bien universel.

Quand l’Allemagne accuse cet ordre chrétien d’être resté incomplet, quand elle affirme que, s’il constitua les États avec leurs lois nationales, il ne réussit point à grouper les États en une hiérarchie unique, l’Allemagne attente a la vérité.

Jamais le monde n’a connu le bienfait d’un accord durable et volontaire entre les peuples que par l’organisation de la société chrétienne. Mais l’équilibre de ces institutions a été aussitôt mis en péril par la tradition païenne qui survivait dans les peuples même chrétiens, et dès lors l’histoire raconte la lutte entre l’influence qui travaille à accroître entre les hommes les rapports de société et l’influence qui veut perpétuer les rapports de conquête.


L’influence civilisatrice fut l’influence latine de l’Europe qui est encore la mêlée d’un combat, trois peuples se dégagent, l’Italie, l’Espagne, la France. Tous trois ont reçu dans une intelligence préparée par la culture romaine la morale nouvelle. Consciens de leur importance, ils se seraient respectés, ne fut-ce que par doute qu’ils pussent se vaincre : surtout, pour refréner les tentations de la violence, grandissent en eux, les deux forces les plus étrangères à la force, la foi et le savoir.