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satisfaire, comme une certaine demande de bottes en toile goudronnée, sur le modèle de celles des mariniers de l’Ouest, et qui préserveraient les pieds de l’humidité des tranchées. Cela sortait des talens ordinaires de nos ouvrières. On prit des informations et la commande fut exécutée. Il va sans dire que des douceurs ne tardèrent pas à se glisser dans les envois utiles, surtout à certaines dates qui provoquèrent le désir d’associer nos soldats aux fêtes de la vie civile, et de leur causer un peu de joie. Puis l’enfant qui fait l’envoi ne résiste pas à la tentation d’y joindre un billet. Il faut bien qu’il y ait dans le paquet quelque chose de son petit cœur. Les chefs répondirent, et il y a ainsi, dans les archives de certaines écoles, des lettres de colonels où s’expriment leur bonté pour leurs hommes et leur orgueil de sentir derrière eux cette petite France frémissante. Des mères de soldats remercièrent aussi, remerciemens infiniment touchans, et enfin des soldats eux-mêmes. Voilà comment nous nous acheminons vers « l’individualisation » du paquet., Tout se perfectionne peu à peu dans cette guerre. Des instituteurs s’arrangèrent pour que chaque soldat de la commune reçût son paquet à lui. N’est-ce pas celui que l’on reçoit avec le plus de joie ? Rien qu’à le prendre des mains du vaguemestre, et à voir son nom sur l’adresse, le soldat cesse d’être un numéro matricule et redevient quelqu’un. Celui qui l’envoie est cependant un inconnu. Mais cet inconnu est un ami, un protecteur. Ce n’est qu’un enfant, mais la protection n’en est que plus douce et ressemble à cette protection ailée dont le soldat d’aujourd’hui, quand il était enfant lui-même, croyait sentir le frôlement. Ainsi se nouèrent des amitiés d’un tour mystique entre l’école et la tranchée.

On ne tarda pas à s’apercevoir que, entre tous les soldats, les plus abandonnés étaient ceux des régions envahies, les « envahis, » comme on dit. Les chefs militaires signalèrent les premiers cet abandon, cette détresse morale. Une note parue dans le Bulletin des Réfugiés du Nord et ainsi conçue : « Lesquels d’entre vous veulent une sœur, une marraine, pour remplacer temporairement la famille bloquée ? » provoqua immédiatement des milliers de réponses. Si l’hiver 1915 fut celui du tricot, l’hiver 1916 fut celui des marraines. Pas un aspirant filleul ne resta sans marraine et réciproquement. Quelques habiles, dit-on, en eurent même plusieurs. Le type du filleul