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leurs officiers. Ailleurs, les Allemands laissent faire. Dans la plupart des villes, les locaux scolaires ont reçu un autre emploi. Mais, même à Longwy, où le principal résume l’histoire de son collège et de sa ville dans ce court post-scriptum d’une de ses lettres : Longwy = Herculanum ; même à Longwy, on a trouvé quelque chose. A Lille, c’est l’hôtel du recteur pour le lycée de jeunes filles, la Faculté des lettres pour le lycée de garçons ; à Roubaix, une maison appartenant à M. Motte ; à Tourcoing, un local dépendant de la municipalité. A Douai, une directrice habile a réussi à sauver quelques pièces de son collège, transformé en hôpital. Dans cet hôpital, les infirmières allemandes soignent les blessés allemands, et les maîtresses du collège les blessés français. Ailleurs de simples appartemens privés recueillent les élèves aux heures de classe.

Partout, on fait tout ce qu’on peut. Tous les ordres d’enseignement se confondent, et les femmes enseignent aux garçons un peu plus encore que de ce côté-ci des lignes. les Allemands ont souvent refusé de rapatrier des institutrices, mettant en avant cette raison, si honorable pour elles, qu’elles rendraient service à leur pays. Il en est donc resté davantage. D’autres fois, ce sont des maîtresses qui, ayant à choisir, ont refusé elles-mêmes d’être rapatriées : la directrice restait ; on ne voulait pas l’abandonner. Que d’actes admirables, aussi simplement accomplis, nous seront racontés un jour ! Dans quelques villes, il y a même eu des fantômes de distributions de prix. Le recteur et quelques professeurs de faculté sont allés faire passer des baccalauréats un peu sommaires. On a évité dans la mesure du possible l’immixtion allemande. On a évité l’argent allemand. Des municipalités remettent aux professeurs 30 francs par mois ; ailleurs ce sont des banques qui consentent des avances, ou des caisses d’épargne qui pratiquent les remboursemens de livrets par mensualités. Il reste des villes et des villages où nous ne savons pas de quoi vivent nos maîtres. Que de misères aussi nous seront racontées ! On a exigé de certains maîtres des engagemens de neutralités Il y a eu des refus que l’on a fait expier.

Des renseignemens sûrs nous ont permis de pénétrer dans quelques-unes de ces classes où l’ennemi ne pénètre pas, vrais sanctuaires. Avec quel frisson, que notre piété même accrue n’a pas connu, l’enseignement du français est donné et reçu ! On explique les textes avec la ferveur qu’appellent des textes sacrés.