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les moyens de refaire leur vie. Les sujets des cours publics s’inspirent des événemens, tout en se tenant au-dessus de l’actualité. M. Lanson traite du « développement de l’idéal français de culture nationale et humaine chez les grands écrivains des trois siècles classiques. » Cet exemple marque bien le caractère de ces cours. Enfin on travaille. Les publications scientifiques paraissent. On fait effort pour garder libre une part de son esprit et la donner aux tâches habituelles. Il y en a qui mettent à profit les loisirs de l’hôpital. Il arrive du Val-de-Grâce des communications à l’Académie des Sciences. Il y en a même qui ont prélevé ces laborieux loisirs sur les repos que laissent les combats. La Sorbonne a délivré deux doctorats posthumes. La thèse de M. Daniel, brillant travail sur la détermination de l’âge des arbres et des plantes, dont l’auteur a été tué comme lieutenant d’artillerie, fut achevée dans le voisinage des caissons. Et on a raconté ici même comment Maurice Masson, dont cette Revue porte le deuil, a poursuivi dans les tranchées la correction des épreuves de sa thèse sur la Religion de Rousseau, n’ayant pas fui « ce divertissement qui s’offrait à lui.

Il y a des travaux d’ordre scientifique provoqués par la guerre même : des travaux d’histoire d’abord. On a recherché les causes. On a voulu mieux connaître amis et ennemis, on a ausculté le passé pour y lire le secret de l’avenir. Puis des historiens prévoyans ont pensé à faciliter la tâche de leurs successeurs, en amassant des documens authentiques sur le présent. L’initiative est partie de Grenoble où, dès 1914, un chef, homme de sang-froid, invita les instituteurs à recueillir sur la mobilisation même toutes les notes pouvant servir à l’histoire future ; et ces notes prises sur le vif sont comme des instantanés où nous voyons se former, dans les couches profondes du pays, la vague qui devait le soulever. Le ministre de l’Instruction publique donna lui-même ensuite des indications pour la constitution de véritables répertoires de documens. Il ne s’agit pas de l’histoire militaire, ni de cette histoire politique dont les journaux fourniront la matière. Il s’agit de l’histoire régionale et locale qui fut si intense, si riche en manifestations de tout ordre et dont le souvenir risquerait de s’effacer. Tout ce qui touche à la guerre reçoit d’elle un reflet, et prend une valeur historique. Dans le même esprit, on a conseillé à chaque commune de faire des dossiers de lettres parvenues du front, de cahiers de route,