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dont les familles permettront au moins de prendre copie. Il y a dans cet effort presque préventif pour tout sauver de l’oubli, et comme pour amasser des reliques, un mélange d’esprit scientifique et d’un véritable esprit de piété.

L’histoire enregistre les événemens ; il s’agit pour d’autres sciences d’en modifier le cours. Comme on parle des arts de la paix, il faut parler aujourd’hui des sciences de la guerre. L’ennemi nous a forcés à mobiliser mécaniciens et chimistes. Ils sont là toute une armée qui fait besogne secrète ; respectons son silence et fions-nous à elle : on pense bien que des savans français ne travaillent pas inutilement. Ils ne travaillent pas non plus sans danger pour eux ; et hier on décorait, sur son champ de bataille à lui, Ernest-Fourneau, chimiste de l’Institut Pasteur, grièvement blessé. — A une autre science de guerre, notre médecine et notre chirurgie militaire, les événemens créent un champ d’expériences de proportions imprévues. Nos médecins, maîtres et étudians, ont été parmi les meilleurs serviteurs du pays qui n’en a eu que de bons. Ils ont été les égaux en courage des plus braves. Ils se sont fait tuer sans chercher à tuer. Alors que le reste de l’humanité n’a plus pour objet que de créer de la souffrance, ils sont restés ceux qui luttent contre elle. Décimés eux-mêmes en face d’obligations qui se multipliaient, ils ont réalisé des miracles d’énergie physique et de dévouement professionnel. Et, chez les hommes de science, l’esprit d’observation et de recherche a été heureusement stimulé. Entre tous les savans, les médecins ont gardé, malgré l’heure, le droit aux joies de la découverte, puisque cette découverte se traduit en applications immédiatement utiles. Aussi jamais les comptes rendus de l’Académie de Médecine n’ont-ils été aussi nourris. On classe les observations, les cas. On constitue officiellement les « archives médico-chirurgicales de la guerre. » L’art de guérir rivalise en progrès avec l’art de tuer. De jeunes étudians font leur thèse, comme l’a faite Maurice Masson, dans des installations souterraines, pendant l’intervalle des dangers et des services. Ils tirent même leurs sujets le plus souvent des expériences de la guerre. Il est arrivé que des chefs de corps, frappés par le spectacle de ce labeur méritoire, ont demandé à signer la préface de ces thèses. Il y a mieux encore. Un jeune médecin auxiliaire, M. Perrin, préparateur à la Faculté des Sciences de