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XIIe siècle ? Toulousains, Languedociens ? Dites plutôt Wisigoths ! Et voilà, du Nord au Midi et de l’Est à l’Ouest, tout le génie français absorbé rétrospectivement par l’unique « Kultur, » expliqué par l’intervention de peuplades iconoclastes qui, parfaitement stériles chez elles, auraient trouvé chez nous, au contact de notre terre et de notre esprit, et après avoir perdu tous leurs caractères ethniques, les aptitudes supérieures dont leurs panégyristes veulent aujourd’hui nous dépouiller à leur profit ! Que nous laisserez-vous, Seigneur !

Dans l’exposé, d’apparence innocente et « objective » de cette doctrine, chaque phrase est comme chargée d’intentions perfides et sournoises. Il s’agit, par exemple, d’indiquer, de rappeler en passant, que la France, après l’avoir créé, a longtemps méconnu, renié son art du Moyen Age[1], que, de nos jours, il s’est trouvé des municipalités sectaires (combien sur l’ensemble du territoire ? ) pour en détruire systématiquement les témoins ; que, d’une façon générale, « l’art français est plus et mieux apprécié en Allemagne qu’en France. » Et le professeur Schmid écrit tranquillement : « Il eût été inouï, chez nous, inconcevable que l’Etat-major allemand eût jamais eu la pensée de transformer les cathédrales gothiques, d’une haute importance artistique ou historique, en postes d’observation ou d’artillerie, au risque d’attirer par-là, sur elles, le feu de l’ennemi, comme la chose se passa en 1870 pour la cathédrale de Strasbourg et maintenant pour celles de Reims et de Soissons… » N’ayez pas la candeur de répondre une fois de plus, avec tout le clergé de ces malheureuses églises, avec Mgr Landrieux, alors archiprêtre de la cathédrale de Reims, aujourd’hui évêque de Dijon, qui a noté au jour le jour tout le détail des bombardemens et solennellement protesté contre les allégations mensongères et obstinément répétées des Allemands, avec M. l’abbé

  1. Il n’entre pas dans le plan de cet article de rechercher si l’on ne pourrait relever dans la « littérature » allemande de l’époque classique presque autant de témoignages que dans la nôtre de l’inintelligence et du mépris de cet art, alors universellement méconnu. Joachim von Sandrart, un des auteurs les plus « représentatifs » (au point de vue de l’histoire de l’art), dédiant à l’Électeur de Brandebourg (1675) sa Teutsche Akademie, croyait devoir excuser ses vieux Allemands (unsere alle Teutsche) d’avoir longtemps « erré dans le labyrinthe de l’architecture gothique, » et le chevalier A. Mengs écrira (en 1781) : « En ces temps malheureux qu’on peut regarder comme le sommeil du monde, qui ne s’est passé qu’en rêves funestes, l’art fut entièrement négligé, ainsi que tout ce qui est louable. »