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dérouler sa magnifique épopée guerrière, il se sera dit : « All right, l’Angleterre est prête, l’Allemagne est vaincue. » Et il se sera endormi dans sa gloire.

En effet, au vainqueur d’Omdourman, au pacificateur du Soudan égyptien, à celui qui, après avoir combattu dans nos rangs en 1870, rendait hommage, à Fachoda, à l’héroïsme infructueux de Marchand et de ses compagnons, il était réservé de montrer l’exemple de la France à l’Angleterre et de tirer, de concert avec un colonial comme lui, le général Joffre, les conséquences de la victoire de la Marne.


La tâche qu’assumait lord Kitchener, au moment où il prenait le ministère de la Guerre, se compliquait du fait qu’il ne s’agissait pas seulement de trouver des hommes et d’en faire des armées à lancer sans trop de retard dans la mêlée, mais qu’il fallait créer en même temps tout le matériel de guerre sans lequel ces armées n’étaient que de la chair à canon. Et à ce dernier point de vue, l’Angleterre était en plus mauvaise condition que la France. Tout son outillage était tourné, en effet, vers l’industrie, et, à part les grands chantiers navals et quelques établissemens militaires, l’usine de guerre n’existait pas. Dans cette improvisation d’une armée, le recrutement des soldats et leur instruction étaient sans doute gênés par les variations probables des engagemens volontaires, mais les difficultés principales étaient d’équiper, d’armer ces masses d’hommes, et d’entourer leur force intrinsèque de toutes les forces de destruction dont les Allemands paraissaient s’être assuré le terrible monopole.

Considérons d’abord les effectifs de ces armées, dites de Kitchener, et qui sont devenues la Grande armée britannique de 1916.

L’appel de Kitchener trouva un écho immédiat dans le patriotisme anglais. Les volontaires affluèrent d’abord. Le maréchal avait déclaré qu’il lui fallait 30 000 hommes par semaine. En septembre 1915, on estimait que près de deux millions d’hommes s’étaient enrôlés. L’Angleterre devint un vaste camp d’instruction, d’où partirent successivement ces divisions nouvelles qui, par armées de 120 000 soldats, allaient tenir le front des Flandres, d’Ypres à la Bassée. À ces troupes