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de plus de canons et de munitions que l’adversaire. L’armée française avait fait les offensives d’Artois et de Champagne, et portait le poids principal de la lutte sur le front occidental ; ses pertes s’accroissaient, et il importait qu’une juste proportion s’établît entre elle et l’armée anglaise.

Le gouvernement anglais le comprenait ; il sentait qu’il fallait enfin forcer l’opposition politique et morale qui se dressait devant l’adoption de la conscription. Le mot répugnait plus que le sens. Par un détour habile, lord Derby proposa de faire un dernier et suprême appel aux volontaires, substituant ainsi à la contrainte légale une sorte de contrainte morale fondée sur la gravité des circonstances et réservant le principe de l’adhésion libre individuelle. Un délai assez court, deux mois environ, était laissé au peuple anglais pour donner la mesure de sa clairvoyance et de son dévouement à la chose publique. Lord Derby ne négligea rien pour déterminer un mouvement unanime : l’affiche, la harangue, les meetings, la presse concoururent à ce recrutement par persuasion.

Les résultats contrarièrent d’abord les provisions optimistes de lord Derby ; puis, vers la fin de la période accordée, l’Angleterre se mobilisa. En quatre jours, du 10 au 13 décembre 1915, les bureaux enregistrèrent plus d’un million d’engagemens. Le total atteignit un chiffre réconfortant pour le patriotisme anglais : 2 829 000 hommes. Sur ce chiffre, 250 000 engages, environ, étaient enrôlés immédiatement dans l’armée active au titre de l’engagement légal ordinaire. Le surplus devait être appelé d’après le group System, par classes, en commençant par les célibataires.

Mais ce chiffre énorme de 2 829 000 inscrits diminua rapidement à la suite des révisions médicales et surtout des exemptions comme indispensables. Le Board of Trade avait dû dresser le catalogue des industries et métiers nécessaires tant à la sauvegarde de la prospérité économique et financière de l’Angleterre qu’à l’usine de guerre. L’Angleterre constitue en effet dans la coalition ce qu’on a appelé « la maison centrale d’importation, le Clearing house des paiemens de fournitures de guerre. » Il fallut donc éliminer des listes d’inscrits un très grand nombre d’indispensables[1]. En outre, les examens médicaux furent,

  1. Sont exemptés : 1° les hommes faisant partie du corps enseignant ; 2° les fonctionnaires des services publics dans des conditions déterminées et les hommes désignés par l’amirauté ; 3° les membres du clergé de toutes dénominations ; 4° les hommes munis de certificats d’exemption du Board of Trade (indisponibles des divers métiers ou professions) ; 5° les hommes nécessaires au travail national (il s’agit évidemment des usines de guerre, mais le texte pouvait prêter à une interprétation plus étendue suivant, les besoins) ; 6° les hommes qui se sont antérieurement présentés comme volontaires et qui ont été refusés pour inaptitude physique après le 15 août 1915 ; 7° les soutiens de famille au sens strict du mot ; 8° les domestiques sur attestation de leurs maîtres ; 9° les hommes « ayant des objections de conscience » sur preuve que leurs convictions sont d’ancienne date, et ne résultent pas d’une conversion in extremis.
    Cette dernière exemption parait avoir été empruntée à la loi militaire australienne. Elle intéresse en particulier certaines sectes, tels que les Quakers, au nombre de 20 000 actuellement en Angleterre. Ces exemptés seraient soit affectés à des services non combattans, soit enrôlés parmi le personnel civil « nécessaire au travail national. »
    Il a été formé depuis des sections de non-combattans exclusivement employés aux services de l’arrière.