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quarantaine d’années plus tard, à Florence, le Bernois revit la comtesse : « Heureusement, le jour baissait. C’était bien sa voix : c’était un peu son regard… » Bonstetten rentra chez lui, se regarda au miroir et s’aperçut qu’il vieillissait.

Chateaubriand l’a vue en 1803, à Rome, quand il était secrétaire de la légation. Il lui a trouvé la taille épaisse, le visage sans expression, l’air commun. Il ajoute : « Si les femmes des tableaux de Rubens vieillissaient, elles ressembleraient à Mme d’Albany à l’âge où je l’ai rencontrée. » Sainte-Beuve se demande si Chateaubriand ne sacrifie pas volontiers Mme d’Albany à Mme Récamier : mais, quoi ! la beauté de Juliette refuse la comparaison.

Lamartine l’a vue en 1810 : une petite femme, sans légèreté ni élégance ; les traits de son visage, « arrondis » et « obtus. » Aurait-il deviné « la reine d’un empire et la reine d’un cœur ? » Peut-être que non ; mais on n’a pas manqué de l’avertir : « Ses yeux avaient une lumière, ses cheveux cendrés une teinte, sa bouche un accueil, toute sa physionomie une intelligence et une grâce d’expression qui faisaient souvenir, si elles ne faisaient plus admirer… » Ces mots secourables, ne les oublions pas. Mme d’Albany, au bout d’un siècle, a changé encore : et elle nous apparaît, dangereusement, non plus dans la pénombre indulgente où Bonstetten la reconnut à son regard et au son de sa voix, mais dans le jour cru de l’histoire et à la lumière de la vérité. N’oublions pas que, sur son visage, Lamartine crut apercevoir le souvenir du charme évanoui.

Elle était née Louise-Maximiliane-Caroline-Emmanuel, princesse de Stolberg. Et il n’est pas facile de lui assigner une patrie exactement. Par son père, elle était Allemande : le prince Gustave-Adolphe de Stolberg-Gedern appartenait à une ancienne famille de Thuringe. Par sa mère, elle descendait, ou peu s’en faut, de Robert Bruce, roi d’Ecosse. Elle eut son berceau à Mons, dans le Hainaut. Son mariage la fit Anglaise. Veuve, son premier amour la fit, en quelque manière, Italienne et Florentine ; son second amour, Française. Dans l’incertitude elle n’a aimé ni l’Allemagne, ni l’Angleterre, ni l’Italie et ni la France. Elle parait estimer davantage les Pays-Bas et conseille au chevalier de Sobirats d’aller y chercher la compagne qu’il souhaite : « Les femmes y sont bonnes, bien élevées et économes ; elles vous conviennent mieux que les Anglaises, qui regrettent toujours leur pays dont les mœurs sont si différentes des nôtres… » Les nôtres : et pour qui se prend-elle ? Son correspondant, le chevalier de Sobirats, est un gentilhomme comtadin. Mais elle ?…