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la protection de Son Altesse impériale et royale la Grande-Duchesse. » Le Prétendant perdit ainsi sa femme : et tant pis pour lui, certes, s’il l’a réduite à mieux aimer la solitude et le silence que sa royale compagnie ! La solitude et le silence ? Mme d’Albany sut quitter les Dames Blanches. Elle avait gagné à sa cause le cardinal d’York, son beau-frère et le frère de Charles-Edouard, celui-là même qui, après la mort du Prétendant, prit le nom de Henry IX. Le cardinal n’ignorait pas que son frère était un mari détestable ; et il plaignait sa belle-sœur. Il la fit admettre dans le couvent le plus distingué de Rome. Il lui écrivait : « Comme il est probable que le bon Dieu a permis ce qui vient d’arriver pour vous émouvoir à la pratique d’une vie édifiante par laquelle la pureté de vos intentions et la justice de votre cause seront justifiées aux yeux de tout le monde, il peut se faire aussi que le Seigneur ait voulu, par le même moyen, opérer la conversion de mon frère… » Le cardinal épiloguait ainsi sur les projets divins : il ne soupçonnait pas les projets de la jeune femme. Celle-ci n’avait quitté le palais du Prétendant, puis le couvent des Dames Blanches florentines et bientôt elle ne quitta les Ursulines de Rome que pour aller rejoindre, en toute liberté subtilement conquise, le poète Alfieri, son amant. Le cardinal jouait avec innocence le rôle du Lancelot dans l’histoire de Paul et de Françoise. Et ce fut dans le palais du cardinal, en sa digne absence, que tout d’abord se retrouvèrent les deux amans. Le cardinal le sut ; il se fâcha : mais un peu tard. Au bout de trois ans, — bien tard ! — le Prétendant consentit à la séparation que sa femme s’était procurée. Il rédigea un manifeste : « Nous, Charles, roi légitime de la Grande-Bretagne… » Considérant ceci, cela, il autorisait la reine légitime de la Grande-Bretagne à vivre d’ores en avant à Rome ou en telle autre ville, « tel étant, disait-il, notre bon plaisir. » Tout le plaisir fut pour la Reine.

Charles-Edouard mourut au mois de février 1788. Mme d’Albany et son poète, à cette époque, étaient à Paris. Alfieri, dans ses mémoires, a orné de toutes vertus et grâces la donna gentilissima, l’amata, l’adorata donna ; et il nous invite à croire qu’elle eut un peu de chagrin : « Mon amie reçut la nouvelle de la mort de son mari. Quoique cette mort n’eût rien d’imprévu, à cause des accidens qui pendant les derniers mois l’avaient frappé à plusieurs reprises, et bien que la veuve, désormais libre de sa personne, fût très loin d’avoir perdu un ami… » On lui pardonnerait son indifférence ? Mais : Je vis, à ma grande surprise, qu’elle ne fut pas médiocrement touchée, non poco computa ! » Non poco computa, certes : « Je croyais