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orages sont passés. Ou bien, elle est à l’abri. Son amant la trompe quelquefois : à Pise, à Florence et à Sienne, elle a des rivales. On le sait ; et elle s’en doute. Elle n’insiste pas ; elle garde sa mansuétude, au profit de sa tranquillité. Ce n’est pas l’infidélité du poète qui la tourmente : c’est la santé du poète. Il va bien ? Mais Mario Bianchi, l’amant de Teresa Mocenni, est mort. Ainsi, les amans sont mortels, autant que les maris. Mme d’Albany se plaint déjà, quand elle plaint Teresa : « Jugez si je partage vos peines : je tremble toujours qu’il ne m’arrive le même malheur. Le poète se porte bien ; mais à la plus petite chose qu’il souffre, mon cœur est alarmé, comme bien vous pensez, surtout dans ce moment. Que ferai-je sans lui ? Je ne tiens au monde que pour lui. » Il y a là certainement de la tendresse, et un réel souci de soi. C’est le 20 mars 1798 que Mme d’Albany redoutait ainsi son chagrin. Alfieri ne mourut pas avant le 7 octobre 1803. La douleur de Mme d’Albany, alors, fait pitié. Le 9 novembre, elle écrit à notre savant compatriote d’Ansse de Villoison : « Ah ! monsieur, quelle douleur ! J’ai tout perdu : c’est comme si on m’avait arraché le cœur ! Je ne puis pas encore me persuader que je ne le reverrai plus. Imaginez-vous que, depuis dix ans, je ne l’avais plus quitté, que nous passions nos journées ensemble ; j’étais à côté de lui quand il travaillait, je l’exhortais à ne pas tant se fatiguer, mais c’était en vain… Il est heureux, il a fini de voir tant de malheurs ; sa gloire va augmenter : moi seule, je l’ai perdu, il faisait le bonheur de ma vie… » Dix jours plus tard, elle écrit à son ami de Sienne Alessandro Cerretani : « Je suis la plus malheureuse créature qui existe ; j’ai perdu le meilleur et le plus respectable des amis. Le plus grand bonheur qui pourrait m’arriver, ce serait de finir une carrière dont je suis déjà ennuyée depuis dix ans, mais qui m’était moins à charge parce que je la supportais avec un ami que j’adorais depuis vingt-six ans… Je me sens glacer le sang en y pensant, je l’ai toujours devant les yeux. J’ai la tête si faible que je puis à peine écrire. Pardonnez-moi et plaignez-moi. » Le 24 novembre, elle écrit au chevalier Baldelli : « J’ai tout perdu, consolation, soutien, société, tout, tout. Je suis seule dans ce monde, qui est devenu un désert pour moi. Je déteste la vie, qui m’est odieuse, et je serais trop heureuse de finir une carrière dont je suis déjà fatiguée depuis dix ans par les circonstances terribles dont nous avons été témoins : mais je la supportais, ayant avec moi un être sublime qui me donnait du courage. Je ne sais que devenir, toutes les occupations me sont odieuses… » Et elle ajoute : « J’aimais tant la lecture !… » Le 10 mars de l’année suivante, elle écrit à l’archiprêtre