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possible de projectiles à des distances qui peuvent être considérables. Leur force portante doit donc être notable ; ils doivent en conséquence avoir une grande envergure et des moteurs puissans. Ceux-ci sont couramment d’environ 200 chevaux-vapeur. De plus, ils doivent passer les lignes à une altitude qui les mette à l’abri des tirs d’infanterie, c’est-à-dire à 2 000 mètres. Ceci conduit à limiter la vitesse de l’avion, et ne permet pas d’augmenter indéfiniment son poids, car son plafond deviendrait alors trop bas. C’est cela non moins que la loi de résistance des matériaux qui a empêché les avions géans, qui ont fait l’objet d’intéressantes tentatives, d’être jusqu’ici utilement généralisés.


Pour compléter ce bref tableau de ce qu’on fait aujourd’hui pour la patrie dans le fluide royaume aériforme, nous pourrions par quelque anticipation hardie tenter d’imaginer ce qu’on y fera plus tard. Nous pourrions par exemple rêver avec M. de Guiche, — puisque aujourd’hui on n’a le droit de rêver que de choses guerrières, — d’avions belliqueux, frères jumeaux et symétriques des sous-marins, et qui par-dessus la mer des nuages iront, en se guidant au compas et au sextant, bombarder quelque lointaine citadelle.

Mais le réel vraiment suffit aujourd’hui à notre étonnement. Si le bonhomme Homère, si Virgile, si notre poète épique médiéval revenaient parmi nous, et si d’aventure ils regardaient en l’air, ils trouveraient sans doute bien puérils, et bons tout au plus à amuser les petits enfans, les combats de leur Achille, dont les pieds ne furent point si légers que ceux de Pégoud, de leur pieux Enée, de leur brave Roland lui-même. Certes par leur valeur ces légendaires héros furent égaux peut-être à nos navigateurs de la nue. Mais combien les gestes de ceux-ci sont plus beaux, plus étrangement poétiques, plus véritablement épiques, derrière les bras bourdonnans de l’hélice, dans ce char de métal que le feu fait glisser sur l’azur dix fois plus vite que ne galopa jamais un cheval, le doigt sur ce tube creusé ainsi qu’un roseau qui déverse, comme une corne d’abondance, la mort incluse en mille fruits d’airain. Si Platon a voulu bannir les poètes de sa république, n’est-ce pas après tout parce qu’ils n’avaient pas assez d’imagination et que leurs rêveries sont toujours bien pauvres à côté du réel, et surtout du possible ?


CHARLES NORDMANN.