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lamente sur ces pauvres Flamands si maltraités, eux bons Germains, par cet archevêque hostile au germanisme[1]. Le cardinal Mercier continuera d’incarner la fierté de son peuple, la liberté de son Église, la dignité de l’âme humaine, en face des verdicts théologiques élaborés par la conscience allemande.

Il est d’ailleurs frappant qu’aux heures où cette conscience affecte de vouloir s’abreuver aux sources mêmes de la Révélation, elle commence par y faire un choix audacieux : laissant de côté l’Évangile, elle se replie, elle se concentre sur certains textes de l’Ancien Testament. J’ai sous les yeux un petit livre de M. Peters, professeur de théologie à Paderborn, dont la couverture se pavoise des couleurs allemandes. Il s’appelle : La Guerre du Seigneur, lectures bibliques, prières et chants pour le temps de guerre, tirés de l’Ancien Testament[2]. Il est dédié aux « lutteurs de Dieu. » « Nos soldats, y lisons-nous, sont en bataille, aujourd’hui, pour le maintien des idées fondamentales de la moralité chrétienne dans la vie des peuples. C’est une guerre de Dieu, un combat pour Dieu et pour la loi divine, pour le christianisme et la culture chrétienne… C’est une sainte guerre de Dieu, comme l’étaient les guerres du Seigneur, pour lesquelles le peuple de Dieu s’élança si souvent contre Égyptiens et Amalécites, Moabites et Chananéens, Madianites et Amorrhéens, Philistins et Assyriens, Babyloniens et Syriens. » Là-dessus, M. Peters aligne plusieurs passages des saints Livres sur les antiques guerres judaïques, et puis un certain nombre de psaumes ; et cet ensemble compose une sorte de manuel du croisé allemand, tiré de l’Écriture.

Bossuet pensait aussi, lui, qu’on devait rechercher dans l’Écriture certaines leçons pour les États ; mais Bossuet ne perdait pas de vue qu’à l’Ancien Testament l’Évangile avait succédé, et il écrivait : « On peut rabattre de cette rigueur ce que l’esprit de douceur et de clémence inspire dans la loi nouvelle, de peur qu’il nous soit dit, comme à tous ces disciples qui voulaient tout foudroyer : « Vous ne songez pas de quel esprit vous êtes. » (Luc, II, 55.) Un vainqueur chrétien doit épargner le sang, et l’esprit de l’Évangile est là-dessus bien différent de celui de la loi[3]. » Le théologien de Paderborn est plus exclusif que

  1. Allgemeine Rundschau, 15 avril 1916, p. 264-265.
  2. Der Krieg des Herrn. Paderborn. 1914.
  3. Politique tirée de l’Écriture sainte, livre IX, art. 6, propos. 10.