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l’Empereur représente… A notre avis, le nombre des partisans de l’idée constitutionnelle qui commencent à accepter l’idée d’une évolution régulière dans le cadre des institutions de l’Empire, peut être, en définitive, regardé comme accru et comme renforcé par les événemens de la guerre. Chez les « progressistes » eux-mêmes, doctrinaires plus entiers, théoriciens sévères, j’ai distingué quelquefois une hésitation. Oh ! sans doute, ils gardent une foi, une confiance inébranlable dans la vertu des institutions libres. Tout s’arrangera par la liberté, tous les problèmes seront résolus par elle, même les plus difficiles qui se posent à la Russie, celui des nationalités et des « allogènes » par exemple. De quel ton j’aurai entendu parler de donner « un Home rule à la Pologne ! » Cette admiration de la Constitution britannique, cette ardeur à l’imiter vont si loin qu’on serait parfois tenté de se demander si, pour achever la ressemblance avec le modèle anglais, il ne faudrait pas encore de l’eau tout autour de la Russie. Mais l’ironie ne serait pas de mise. On ne la comprendrait pas. Et les progressistes sont bien loin d’être seuls à rendre ce culte à la « Mère des Parlemens. » Peut-être justement ce culte, en dépit du caractère théorique de leur opposition, serait-il capable de les incliner, à la longue, à admettre la possibilité d’un accommodement aux institutions existantes. J’ai retenu la netteté avec laquelle M. E…, un des chefs les plus écoutés du progressisme, me dit un jour que, tout en n’étant pas certain que l’avenir dût voir cette évolution paisible sur laquelle d’autres comptent, il tenait au moins pour exclue l’hypothèse d’une « révolution sérieuse. »

Au fond, quel est le grand débat politique de la Russie d’aujourd’hui ? Il semble que, là-dessus, la guerre ait produit quelque clarté. S’agit-il d’obtenir le régime parlementaire intégral, avec ministère responsable ? Nous avons vu que, dans la gauche elle-même, les hommes politiques les plus clairvoyans ont rejeté au second plan cette partie de leur programme. Le « Bloc progressiste » est d’accord pour se borner à demander la présence au pouvoir d’hommes qui jouissent de la confiance de la nation. La formule est séduisante peut-être. Elle est assez captieuse aussi. Mais où sont ces hommes ? Qu’est-ce qui les désigne ? A quelles marques les reconnaître ? Et puis, des personnalités assez populaires auprès de tant de millions de Russes pour posséder leur confiance existent-elles ? Peuvent-elles même