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C’était pour nous comme un paradoxe. C’est un fait, pourtant, que l’anticléricalisme, en Russie, n’est pas une opinion politique et que l’on voit, — sauf chez les progressistes et à l’extrême gauche, — des popes siéger parmi les groupes les plus avancés… A part les socialistes, dont les bancs d’ailleurs étaient vides, tous les députés, debout, chantèrent l’hymne national, tandis que l’Empereur, affable et grave à la fois, traversait la salle des séances. Parmi les circonstances tragiques qu’a déjà connues son règne, au milieu d’événemens nouveaux dans l’histoire de Russie, de problèmes que n’ont pas eu à résoudre ses prédécesseurs, Nicolas II a toujours su prendre les décisions et les initiatives nécessaires. Nous avons, pendant cette journée du palais de Tauride, suivi avec un intérêt puissant l’expression, les regards, les mouvemens de ce souverain qui commande à 175 millions d’hommes. Sur son visage, avec quelle rapidité succédaient, aux signes d’une émotion contenue, ceux d’une attention clairvoyante appliquée aux moindres détails de cette scène historique ! On sentait que, parmi les dons qui aident l’Empereur à venir à bout de sa tâche, il possède ceux de l’observation, du jugement et de la mémoire. Il a aussi la volonté. Au cours de cette guerre contre l’Allemagne, Nicolas II, invariable dans ses résolutions, aura été le centre vivant de la résistance de l’Empire. Par son ferme propos de vaincre Guillaume II, à qui il ne pardonnera ni ses outrages, ni sa félonie, il fait penser à ce qu’un historien russe a écrit d’Alexandre Ier. « Convaincu par l’expérience de longues années que ni les pertes infligées à Napoléon ni les traités conclus avec lui ne pourraient arrêter son ambition, Alexandre résolut de poursuivre la guerre jusqu’au renversement de son ennemi. » Ce qu’a fait le tsar de 1814, le tsar de 1914 le recommence, mais contre l’héritier de celui que ses prédécesseurs du XVIIIe siècle avaient nommé « l’outrecuidant voisin. » Et si les Hohenzollern ont été le « rocher de bronze » de l’Etat prussien à travers les péripéties de l’histoire, le granit des Romanof n’est pas moins dur. Le sentiment de l’intérêt national et la tradition dynastique s’unissent chez Nicolas II pour le déterminer à conduire la guerre jusqu’au bout. Quand il n’y aurait pas sa parole loyale donnée aux Alliés, sa conscience lui interdirait encore de laisser à son fils un Empire plus petit que celui qu’il a reçu de son père. Partie du trône, cette inébranlable volonté anime les