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tous vu de trop près la déroute de la nuit du 31 mai au 1er juin. Mais il est très possible que la confiance aveugle, exaltée, de la nation allemande ait singulièrement fortifié la leur. A force de s’entendre louer de cette supériorité technique qui devait balancer la supériorité numérique des Anglais, sans doute ils ont fini par y croire.

Enfin, et puisque je parle du peuple d’Allemagne, comment oublier que ce peuple souffre et qu’il souffre du blocus anglais ? Ses cris de détresse se faisaient entendre dans tous les ports et jusqu’à cet îlot d’Helgoland, poste avancé du camp retranché maritime de la Hoch see flotte. Et l’on avait beau se dire que même une bataille indécise, — on ne pouvait prétendre à plus que cela, — ne desserrerait pas l’étreinte britannique d’une manière appréciable, il ne semblait pas possible de se refuser du moins à une tentative…

Ainsi, — psychologiquement, — cette bataille allait résulter du consensus omnium, les alliés des deux partis et les neutres compris. Dirai-je, en toute sincérité, que les alliés de l’Angleterre, nous en tête, souhaitaient depuis longtemps que cette supériorité de la magnifique flotte britannique, dont personne ne pouvait douter, s’affirmât toutefois par des actes éclatans et non pas seulement par la vertu, un peu mystérieuse et voilée aux yeux des simples, d’un blocus trop lointain ? Les alliés de l’Allemagne, — l’Autriche, du moins, — désiraient une « sortie » de la flotte allemande, ou de la partie la plus mobile de cette flotte, qui pût se lier avec certaines opérations sur le théâtre méridional de la guerre. J’en ai parlé discrètement, ici, il y a quelques semaines, et je n’y reviens pas[1]. Rappelons-nous seulement que la visite à Berlin et à Kiel de l’archiduc Karl. Stephan, chef de la flotte autrichienne, fut bientôt suivie de la retraite de l’amiral von Tirpitz, très opposé, comme on le sait, à l’idée de faire jouer un rôle actif, mais très dangereux, aux belles escadres qu’il avait créées.

Quant aux neutres, — mais d’abord y a-t-il vraiment des neutres dans l’extraordinaire conflit où presque toute l’Europe est engagée ?… — quant aux neutres, dis-je, les uns étaient directement intéressés, mais en sens divers, à la solution de la question du blocus effectif, les autres attendaient avec

  1. Revue du 15 mai 1916 : article déjà cité.