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spectacle une foule innombrable de curieux. Ces obus sont de proportion énorme : 55 centimètres de hauteur, 33 de diamètre ; vous voyez que nos chers ennemis ne nous traitent pas légèrement.

« Aujourd’hui, tout est rentré dans le calme ; c’est à peine si, de loin en loin, un coup de canon se fait entendre. Pour avoir été bombardés, nous ne nous en portons pas plus mal. Décidément, c’est à recommencer. Un de mes élèves montrait ce matin en classe à ses camarades l’éclat d’obus qui était tombé dans son jardin ; l’épaisseur de ces projectiles est considérable ; mais quand on n’est pas surpris, il est facile de s’en garer, et un long sifflement avertit les promeneurs. En somme, à tout cela, rien de grave ; si l’incendie ne se met pas de la partie, nous en rirons tout à notre aise. Mais hier, avec nos fontaines gelées, une pluie de pétrole nous aurait beaucoup gênés. » (6 janvier 1871.)

Aubert s’inquiète bien plus des nouvelles menaces d’émeutes : « Quelques agitateurs ont voulu profiter de cette démonstration pour afficher leur éternelle Commune ; partout on a arraché leurs placards rouges, et si l’envie leur prenait d’aller plus loin, quelques coups de fusil régleraient le compte de ces misérables. » — Ce n’était pas encore le dernier mot de ses tourmens ! — « Voilà le dégel arrivé. Les pigeons se décideront-ils à reprendre leur vol vers Paris ? Ces chers petits oiseaux sont frileux, et dès qu’ils ont froid aux pattes, ils se remisent. C’est pourtant notre plus cruelle souffrance. » Après ces longs mois passés dans l’ignorance, l’angoisse se complique ; on n’ose même plus désirer savoir : « L’inquiétude me fait reculer à la seule pensée d’un nom. Où êtes-vous ? Qu’un mot me rendrait heureux ! Et encore, qui sait ? »

Le quartier Latin continua les jours suivans a recevoir un grand nombre d’obus. La Sorbonne, l’Ecole normale, le lycée Henri-IV furent atteints, et nombre d’édifices des environs. Le lycée Louis-le-Grand fut épargné, ou à peu près[1]. Mais l’École Sainte-Barbe qui lui est contiguë avait eu plus que sa

  1. La vieille supérieure de l’infirmerie, sœur Adrien, qu’ont connue tant de générations de lycéens, se rappelait nettement qu’un obus était tombé dans le jardin de l’infirmerie, après avoir ébréché seulement la corniche d’un bâtiment. On n’en parla pas. — Sur le bombardement de Sainte-Barbe, voir : Histoire de Sainte-Barbe, par Clovis Lamarre, 1900.