Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/863

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Saint-Esprit, et les classes régulières vont rentrer officiellement. Et comment rêver à de nouvelles misères ?

Cette lettre est du 14 mars 1871. La même semaine, les nouvelles misères ont commencé leur lamentable cours, et combien plus lamentable que celui des jours du Siège ! Aubert va continuer à écrire pour informer sa famille des événemens ; mais combien son ton est changé ! « On vit tristement, et ce mélange de douleur et de honte est doublement pénible. » Mais sa sensibilité et son observation pittoresque ont vraiment de quoi s’exercer :

« Rien de nouveau, rien de plus que ce qui était, hier. La nuit s’est passée en fanfares pour tenir le peuple éveillé. J’ai peu dormi et ma bougie a beaucoup brûlé. On ne sait à Paris rien du dehors. Où est l’Assemblée ? Où est le gouvernement ? On les dit à Versailles, on les dit à Tours. Vous en savez beaucoup plus que moi. Nos ouvriers ont recommencé leurs promenades qui, bientôt, les lasseront. A quel exercice passeront-ils ? Contre une résistance qui ne se montre nulle part, ces barricades leur paraîtront insensées, je l’espère. Il y en a place du Panthéon, place Vendôme, place de la Bastille, rue Saint-Martin, tout autour de l’Hôtel de Ville. Ce matin, une longue proclamation expose la vertu et l’innocence du Comité central ; une affiche convoque pour demain aux élections ; vous comprenez que je n’y paraîtrai pas. Le bruit court que vingt bataillons s’étaient dirigés sur Versailles. J’en doute, la perspective d’y rencontrer quelques Prussiens les aura fait réfléchir. Nous sommes toujours dans la même disposition, attendant les ordres de l’Assemblée. Qu’elle agisse, qu’elle décide, nous obéirons. Mieux vaut prendre son temps et ne pas venir chercher ici une défaite qui aggraverait les choses. Que vont faire les Prussiens ? J’espère qu’ils ne se réengageront pas dans la lutte qui, il est vrai, sera sans danger. Vous imaginez que toutes ces pensées sont bien noires. Ah ! ma bonne quinzaine d’Anjou ! » (20 mars.)

Il espère un instant que la population saine de Paris va résister, ainsi qu’elle l’avait fait au 31 octobre. C’est le jour où la Commune a versé le sang de braves citoyens sans défense : « On vient de tirer, place Vendôme, sur une manifestation sans armes, composée de bourgeois, et les plus tristes bruits circulent. Assurément, le sang a coulé. Les boutiques se ferment. Les gardes nationaux prennent les armes. On va se