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Adressez-moi toujours mon courrier à Joinville ; dans cette direction, je suis toujours sûr de pouvoir sortir. Allons, de la patience et du courage ; tenons ferme contre l’orage ; ce qui arrive était inévitable. Quant à cet insensé de Jules Favre, qui stipulait que la Garde nationale resterait armée, il organisait d’avance la guerre civile. Du reste, quelle que soit la part de Paris dans ce crime national, souvenez-vous que nos murs sont le théâtre du combat, mais qu’en réalité, tout ce qu’il y a de taré et de perdu en France s’est donné rendez-vous ici ; sans compter ces bandits italiens et ces misérables Polonais qui sont venus faire ici la chasse à l’homme. Dire qu’une population n’a pas honte de ce servage, qu’elle n’en voit pas l’odieuse évidence ! Comme je souffrais mardi, à Joinville, quand je voyais, du fort de Gravelle, les Badois armés de longues-vues, et contemplant la bataille ! Où sera la fin ? Où est le remède ? Que faire pour le présent ? Comment préserver l’avenir ? On s’y perd, et la raison n’est pas moins troublée que le cœur. » (20 avril.)

A la fin d’avril, nouvelle descente des Fédérés au lycée. Le 30, ils sont venus arracher de la porte cochère le drapeau tricolore qui avait continué d’y flotter, et ils ont ordonné au proviseur de le remplacer par le drapeau rouge. Girard est bien décidé, et Aubert l’approuve, il le laissera mettre par force, comme il a été fait au lycée Saint-Louis. Mais il ne le fera pas placer lui-même, quoi qu’il arrive. L’ordre ne se renouvela pas.

Ces dangers retiennent Aubert auprès de son ami, encore qu’il ait été fort souffrant. Il poursuit ses observations en banlieue, assiste à des combats, voit s’accumuler des ruines : « Les progrès de nos amis, dit-il, sont sensibles, mais lents. Ils prennent un village, un pâté de maisons, un pli de terrain. Leurs ouvrages se dessinent autour des remparts. Deux pensées les dominent : épargner leurs troupes et ménager Paris. » Et cependant, quel est, dans la ville, l’état des esprits ?

« Quant à l’intérieur de Paris, les nouvelles ne sont ni bonnes, ni mauvaises ; une lassitude générale se manifeste partout ; le commerce s’épuise en frais sans profit ; c’est pitié de voir les négocians sur le seuil de leurs maisons, regardant passer les acheteurs qui n’achètent pas… Les gardes nationaux montrent chaque jour moins d’ardeur pour le triste métier