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Taciturne, exilé volontaire, banni sans armes, abreuvé de loin de toute la souffrance et de tout l’opprobre de son pays, le poète du Chant de l’Attente, avait, pendant des jours sans nombre, épié en vain l’heure de la Revanche. Son divin mal s’était nourri de soi-même. Au moment tragique où sa seconde patrie, notre douce France, s’était levée, avec une seule âme, pour l’heure sainte du combat, sa volonté de vaincre brillant dans ses yeux clairs, Gabriele d’Annunzio avait senti trembler son cœur. Des pages magnifiques de fraternité et de prescience pour la sœur latine jaillirent de sa plume. Dès le 30 septembre 1914, Gabriele d’Annunzio écrivait un impétueux et splendide article, où il faisait appel au génie des races latines et adjurait ses compatriotes de se ranger, sans retard, à côté de cette France, dont la nature rend l’Italie solidaire, et de soutenir, avec elle, la lutte suprême contre la menace de servitude levée par les Barbares sur tous les peuples méditerranéens.

Celui qui, depuis des années, ne s’était jamais lassé de redresser les dieux sur les autels de l’Italie et de vénérer les choses saintes, de s’efforcer de rallumer, contre les vapeurs des marais, l’idée pure, vers laquelle sa race est conduite par la constance de son génie, celui-là ne manqua pas l’occasion propice d’enseigner aux siens la haine nécessaire, de les exciter contre le « Tedesco » qui serre toujours l’Italie du côté du cœur et « ne lui permet de respirer que d’un seul poumon. » A l’heure du risque, Gabriele d’Annunzio revendiqua l’honneur de ses prédictions. Il se donna le droit de parler haut, par-dessus les monts. S’il n’avait pas été entendu jusqu’alors, il était sûr d’être écouté, à la fin, par tous ceux qui, délivrés des mensonges, sentaient enfin leur courage renaître, et, haussés sur leurs talons solides, étaient prêts à fouler la terre ennemie. Il les exhortait :


… Jusques à quand le sort d’un grand peuple unanime pourra-t-il être retardé par les hésitations de quelques hommes qui se montrent incapables de mesurer la profondeur du drame auquel nous assistons avec de si hauts pressentimens ? Pendant des années, notre vie civile fut corrompue par la fausseté d’une alliance qui, en offensant nos instincts les plus tenaces, semblaient nous plonger dans une sorte de barbarie inerte et morne… Le sort des Habsbourg est déjà fixé dans les desseins des Hohenzollern, ces parvenus ! Le littoral de l’Adriatique, avec les ports de Trieste, de Pola, jusqu’à la pointe méridionale, et la Dalmatie,